
Marie-Michelle Cusson est enseignante spécialiste en musique au Centre de services scolaire des Chênes et termine sa maitrise en éducation musicale à l’Université Laval.
En tant qu’étudiante à la maitrise professionnelle en éducation musicale, j’ai eu le privilège d’aller à Cuba en décembre dernier, pour observer de plus près la pédagogie musicale propre à ce pays dans le cadre d’un projet dirigé. J’aspire en effet à intégrer la musique cubaine, reconnue notamment pour sa qualité et son côté festif, dans l’enseignement de la musique au primaire. Éventuellement j’aimerais partager ma connaissance de cette culture musicale avec d’autres enseignants. J’ai profité de mon voyage pour faire des entrevues avec des professeurs de musique et pour suivre des cours de percussions. Je vous présente ici un compte rendu de mon séjour et de ses retombées sur mon enseignement.
LES ÉCOLES D’ART À CUBA
Figure 1. Escuela de Arte de Pinar del Río
Créées dans les années 1960 à La Havane, les Escuelas de Arte (écoles d’art) offrent des cours de musique en plus de cours d’arts visuels, de théâtre et de danse. On retrouve maintenant une quarantaine de ces Escuelas de Arte dans tout le pays, coordonnées par le bureau de La Havane. Dans ces écoles, ouvertes à tous les élèves qui réussissent l’audition, la formation débute en troisième année du primaire, c’est-à-dire lorsque les élèves ont huit ou neuf ans. Les élèves partagent le temps de classe entre les matières scolaires (mathématiques, espagnol, sciences et histoire) et la musique. Les apprentis musiciens peuvent ainsi poursuivre gratuitement leur formation musicale jusqu’à l’université. Malheureusement, il fut impossible pour moi d’obtenir l’autorisation d’entrer dans une école d’art, mais j’ai pu réaliser un entretien avec une élève de onze ans en cinquième année du primaire d’une Escuela de Arte de La Havane. Cette élève a commencé le cursus musical scolaire en troisième année, à la suite de son audition. Comme l’a expliqué l’élève interviewée, l’interprétation d’une pièce n’est pas exigée lors de l’audition, mais l’aspirant élève doit répéter de courts extraits en les chantant ou en les frappant dans ses mains, selon le cas. On veut ainsi évaluer ses capacités rythmiques et auditives, ainsi que ses atouts physiques. Par exemple, un élève qui a de longs doigts a plus de chance d’être accepté en piano.
ENSEIGNEMENT MUSICAL EXTRASCOLAIRE
Bien qu’il m’ait été impossible de faire des observations dans les Escuelas de Arte, j’ai tout de même pu m’entretenir avec cinq professeurs de musique, dont un qui enseigne la guitare à la Escuela de Arte de Pinar del Río, mais également le tres (guitare cubaine; prononcez tresse) dans un autre établissement. Les quatre autres professeurs enseignent au Centro cultural de San Juan y Martinez à quelque 20 km de Pinar del Río. Le Centro cultural propose des cours de musique en individuel et en groupe aux enfants de cette municipalité d’environ 50 000 habitants. Il les prépare également pour les auditions d’admission à l’école d’art de Pinar del Río ainsi que pour différents concours et activités artistiques. Un des quatre professeurs de San Juan y Martinez que j’ai rencontrés a également enseigné dans des écoles primaires. Il n’y a pas de programme officiel d’enseignement de la musique dans les écoles régulières, mais on y offre parfois des cours.
Figure 2. Centro cultural de San Juan y Martinez
FORMATION DES PROFESSEURS DE MUSIQUE
Je souhaitais m’entretenir principalement sur deux thèmes avec les professeurs de musique. Tout d’abord, je voulais savoir quel avait été leur parcours pour devenir musicien et professeur de musique; ensuite, qu’elles étaient leurs stratégies et méthodes d’enseignement. Les cinq professeurs ont fait des études musicales dans une Escuela de Arte, et ont par la suite parfait leur formation à l’extérieur du système scolaire, soit en suivant des cours particuliers, soit en travaillant dans des orchestres qui font de la musique cubaine. Il est bon de préciser ici que cette dernière ne s’enseigne pas dans les écoles d’art. Elle s’apprend dans le cadre de cours particuliers ou de cours offerts dans des centres culturels avec des maitres de la musique cubaine ou encore en la calle ou dans la rue, c’est-à-dire en jouant avec des musiciens qui font de la musique cubaine. Il convient de souligner que les musiciens qui font de la musique cubaine sont préalablement presque tous passés par le cursus musical scolaire et sont donc déjà des musiciens accomplis.
Pour ce qui est de leur parcours professionnel, certains des professeurs interrogés ont fait une formation en éducation musicale et sont diplômés comme professeurs, d’autres non. Leur méthode d’enseignement est le reflet de leur mode d’apprentissage.
STRATÉGIES ET MÉTHODES D’ENSEIGNEMENT
En second lieu, je voulais savoir qu’elles étaient les stratégies et les méthodes d’enseignement. Le vocabulaire utilisé diffère du nôtre et il aurait vraiment été intéressant ici de faire des observations plus directes. À titre d’exemple, les professeurs s’entendaient pour dire qu’ils enseignaient de façon « normale », sans pouvoir m’expliquer ce qu’ils entendaient par cela. Quoiqu’il en soit, la plupart m’ont mentionné adapter leurs méthodes et leurs stratégies en fonction des élèves. Il y a très peu de matériel pédagogique disponible et les livres dans les classes sont très vieux et très fragiles. De façon générale, la plupart des professeurs m’ont affirmé élaborer leur propre méthode, en s’adaptant aux forces et aux défis des élèves. Il demeure que la stratégie d’enseignement principale employée est l’imitation : le professeur joue un extrait et l’élève répète.
COURS DE PERCUSSIONS À CUBA
Pendant mon séjour à Cuba, j’en ai profité pour suivre des cours de percussions. Bien que la plupart des percussionnistes puissent jouer de la majorité des instruments de percussion, ils se spécialisent dans un seul. Par exemple, dans un orchestre, il y a un percussionniste pour chacun de ces instruments : le bongo et la cloche à vache, les congas, la timbal (à différencier de la timbale d’orchestre, bien qu’elles aient toutes deux le même ancêtre), le güiro, etc. Je devais donc choisir l’instrument que je souhaitais apprendre. J’ai choisi le bongo, puisque c’est un des instruments qu’on trouve le plus souvent dans les écoles.
De façon générale, les cours à Cuba ne sont pas aussi délimités dans le temps qu’ici. Ils peuvent durer 45 minutes une journée et le double du temps le lendemain. On peut aussi prendre une pause en plein milieu du cours. La durée dépend de ce qui est enseigné, de l’ambiance du moment, et, bien évidemment, du niveau de l’élève et du sérieux de celui-ci. Lorsque je suivais des cours à Pinar del Río, l’ambiance était plus décontractée. Au premier cours, j’ai appris le rythme de base (la marcha), et j’ai ensuite appris une, deux ou trois variantes que je pratiquais pendant le cours. Le professeur me jouait les rythmes que je répétais. Précisons que le bongo est un instrument permettant de laisser libre cours à sa créativité, même à l’intérieur de la marcha.
À La Havane, j’ai suivi un cours de conga avec un autre professeur de percussions, centré cette fois sur la technique de frappe. Le cours a duré deux heures et j’en suis ressortie avec le pouce bleu. Ce professeur priorisait la posture et la technique propres aux congas en se concentrant sur les sonorités recherchées.
RETOMBÉES DE CE VOYAGE SUR MA PRATIQUE ENSEIGNANTE
Avant même de faire ce voyage, j’intégrais différentes musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs dans mon enseignement, y compris bien sûr celle de Cuba, en présentant aux élèves certains genres musicaux de ce pays, en leur faisant danser le cha-cha-cha ou interpréter une pièce par exemple. Depuis mon retour, je diversifie davantage les activités. Cette culture musicale permet de travailler le rythme de façon générale, mais encore plus particulièrement la polyrythmie, ce que j’ai inclus dans mon enseignement en plus de la technique des claves, du güiro, des bongos et des congas.
La musique permet aussi d’expérimenter l’improvisation. Chacun des instruments de percussions a son propre motif rythmique d’une ou deux mesures selon le genre musical : le percussionniste doit le répéter tout au long de la pièce en utilisant la bonne technique pour s’assurer d’une belle sonorité, mais il peut aussi improviser à l’intérieur de ce motif. J’incorpore également l’improvisation qui peut être travaillée pendant des sections d’une pièce avec les différents instruments utilisés ou avec la voix, comme on le ferait avec une pièce jazz. Toutefois, l’improvisation vocale ne se fait pas en scat ou sur différentes voyelles, mais plutôt avec des paroles. Les élèves peuvent par exemple composer une strophe et s’amuser à créer une mélodie à partir de celle-ci sur un montuno (séquence rythmique jouée au piano). Toutes les occasions de faire de la création avec les élèves sont bonnes.
CONCLUSION
Ce voyage a été une expérience professionnelle et humaine exceptionnelle et enrichissante. Plusieurs défis se sont présentés, comme des retards d’autorisation, le manque de ponctualité (à laquelle on accorde parfois moins d’importance qu’ici) et, au-delà du projet de maitrise, la difficulté d’approvisionnement en denrées alimentaires. Il faut en effet faire la file pour acheter des produits de première nécessité qui ne sont que rarement disponibles. Toutefois, la musique est importante dans la culture cubaine. Même si elle n’est pas enseignée de façon formelle dans les écoles, elle est accessible dans le système scolaire à quiconque réussit les auditions. Le programme d’enseignement de la musique est efficace malgré des ressources matérielles plus que limitées.
QUELQUES RESSOURCES POUR INTÉGRER LA MUSIQUE CUBAINE À VOTRE ENSEIGNEMENT
Faure, T. (2003). Cuba ! : 10 pièces adaptées à l'enseignement de la flûte à bec ou autres instruments en ut. Fuzeau.
Torchon, J. (2018). Cuban Cha-Cha-Chá: Applications for Music Education in the United States. Music Educators Journal, 104(4), 25 31.
Uribe, E. (1996). The essence of Afro-Cuban percussion and drum set: Includes the rhythm section, parts for bass, piano, guitar, horns & strings; rhythms, songstyles, techniques, applications. Warner.
BIOGRAPHIE
Marie-Michelle Cusson est enseignante spécialiste en musique au Centre de services scolaire des Chênes et termine sa maitrise en éducation musicale à l’Université Laval. Elle s’intéresse à l’enseignement des musiques traditionnelles d’ici et d’ailleurs, et plus particulièrement à la musique cubaine.