Cet hiver, j’ai eu la chance de lire l’ouvrage Remixing the Classroom : Toward An Open Philosophy of Music Education de Randall Everett Allsup. Allsup est professeur associé de musique et d’éducation musicale au Teachers College de l’Université Columbia à New York. Il s’intéresse aux questions relatives à l’éducation musicale et à la justice sociale, aux contextes culturels de l’apprentissage, à la démocratie et à la conscience sociale. Sa philosophie est influencée par Maxine Greene, John Dewey, et Paolo Freire. Remixing The Classroom est son premier livre.
Allsup tisse l’argumentaire de son ouvrage autour de ces deux grandes questions : alors que nous vivons dans une société qui prône la standardisation et qui instrumentalise l’éducation à des fins de productivité et de rendement, comment pouvons-nous nous affranchir des normes et des contextes établis? Et quelles sont nos obligations envers les normes traditionnelles si elles contredisent nos valeurs humanistes?
Dans le premier chapitre, Allsup nous explique comment l’influence de la tradition et le modèle maitre-apprenti nous limitent en éducation musicale. Par la suite, il nous invite à une réforme de l’éducation musicale dans les écoles et à l’université. Dans le deuxième chapitre, Allsup nous donne sa vision de la qualité de la formation et de l’expertise des enseignants de musique, ainsi que l’apport des écoles publiques dans la société du 21e siècle. Dans le troisième chapitre, il jette les bases du modèle d’enseignement « en laboratoire » élaboré par John Dewey et nous démontre comment celui-ci peut s’appliquer dans une classe de musique. Finalement, le quatrième chapitre est consacré à l’aspiration à une ouverture morale.
CHAPITRE 1: LE MODÈLE DU MAITRE-APPRENTI ET «LA LOI»
Au début du premier chapitre, Allsup nous explique ce qu’est le modèle du maitre-apprenti. Ce modèle est couramment utilisé en enseignement de la musique : le maitre est le gardien de la «loi», c’est-à-dire des normes et des règles établies par traditions. Le maitre décide de ce qui est bon ou mauvais, laisse peu de place au jeu à l’oreille ou aux transgressions de la partition. La «loi» est donc extérieure à l’apprenti et hors de sa portée.
CHAPITRE 2: LA QUANTITÉ DE LA FORMATION ET L'EXPERTISE DES ENSEIGNANTS DE MUSIQUE
Dans le deuxième chapitre, l’auteur dépeint la réalité de l’enseignement au 21e siècle en utilisant les concepts antinomiques de «formes ouvertes» et de «formes fermées». Le concept de «forme ouverte » en éducation de la musique réfère en partie à des moyens hybrides, flexibles, souvent numériques ou participatifs de faire de la musique. Les formes fermées sont au contraire autoritaires. On donne de la valeur à l’excellence avec des modes de participation qui sont de nature rigide et dualiste. C’est dans cet esprit antinomique que l’auteur se questionne sur le genre d’école, d’institution, d’enseignants et d’enseignement que les élèves des écoles publiques du 21e siècle méritent selon lui.
Sur le plan des institutions, les parties prenantes ont historiquement favorisé une «forme fermée » de l’enseignement où l’on valorise la préservation plutôt que l’innovation. D’un point de vue instrumentaliste, les écoles sont une place où l’on se prépare à travailler et à devenir des adultes qui contribueront à la société. L’enseignement et les enseignants sont campés dans un cadre standardisé. On mise sur les résultats, la performance et l’excellence. La structure institutionnelle des écoles et des universités privilégie les méthodes d’enseignement qui sont séquentielles, stables et prévisibles. À contrario, dans une forme plus ouverte, l’école permet la diffusion de valeurs humanistes telles que la santé, le bien-être, l’indépendance d’esprit et la responsabilité civique.
Au plan de la formation initiale des enseignants de musique, il existe, selon l’auteur, un déséquilibre critique favorisant la préservation et l’autorité au détriment de la créativité et de l’imagination. Il y a ainsi confusion entre un enseignement menant à la réussite et un enseignement de qualité. Les enseignants de musique sont formés pour faire face à des problèmes techniques, comme apprendre à monter une clarinette ou à gérer une classe, mais ces habiletés, même si elles sont importantes et sont un gage de réussite, ne contribuent pas à elles seules à définir un enseignement de qualité. La qualité de l’enseignement va au-delà de ces considérations techniques. Pour l’auteur, les qualités que les enseignants de musique devraient démontrer sont antinomiques. L’enseignant doit savoir être flexible; il doit aussi innover tout en conservant les traditions. Il doit savoir utiliser son intelligence et sa sensibilité pour le bien des élèves et faire preuve de plasticité dans ses interactions avec ceux-ci. Par ailleurs, les programmes de musique ne peuvent pas préparer les enseignants à toutes les situations hypothétiques, d’où l’importance du développement des compétences. De plus, l’expertise de l’enseignant doit évoluer tout au long de sa vie. La formation des maitres est un point de départ à l’évolution de l’enseignant, et le rôle des universités est de préparer les enseignants à affronter le même genre de forces antinomiques qu’ils rencontreront sur le marché du travail. Après avoir décrit la formation des enseignants de musique, l’auteur nous propose une forme d’enseignement centrée sur l’élève : la classe ou l’école laboratoire.
CHAPITRE 3: VERS UNE FORME OUVERTE
Dans le chapitre 3, l’auteur s’inspire du modèle constructiviste de John Dewey (1859-1952). Dewey est un philosophe américain pragmatique. Il croit, tout comme Allsup, qu’un changement est nécessaire dans l’école et dans la société civile, dans le but de stimuler la créativité des élèves. Il considère qu’il est important que les intérêts et les besoins des élèves soient pris en compte. Pour lui, il est essentiel de permettre aux élèves la découverte du monde, de préférence à travers un programme interdisciplinaire, tel que l’enseignement par projets.
Selon Dewey, l’individu est créé à partir de ses expériences antérieures. Il est à lui-même un musée et un laboratoire. De même, Dewey compare les institutions scolaires à des laboratoires, où l’on peut créer, innover et tester de nouvelles connaissances. Il les compare aussi à des musées, puisque l’on doit aussi conserver les innovations, les protéger, et structurer les nouvelles connaissances
Après avoir exposé le concept de l’école laboratoire, nous pouvons nous demander pourquoi le constructivisme de Dewey est-il à ce point sousutilisé en éducation musicale. La réponse à cette question se trouve dans le fait que d’une part, notre système est toujours basé sur le contrôle du maitre et la soumission de l’élève, et que d’autre part, l’enseignant de musique ne peut pas concevoir que l’approche par projet et l’exploration sont des méthodes d’enseignement aussi valables que l’enseignement explicite.
Dans le but de mieux s’approprier le modèle de la «classe laboratoire », il faut savoir considérer certains principes. Premièrement, enseigner la musique de manière linéaire n’est pas la seule manière de faire et une structure où l’enseignant domine a moins de valeur qu’un apprentissage basé sur l’initiative de l’élève. Deuxièmement, il faut aussi prendre en compte que les apprentissages n’ont pas toujours besoin d’être visibles pour être valables. Finalement, du point de vue de la tâche de l’enseignant, il faut savoir que celui-ci a plus de responsabilités dans une classe de type ouverte que dans une classe de type fermée puisqu’il est plus difficile d’être un facilitateur que d’être un maitre.
En respectant ces principes, la «classe laboratoire » répond aux besoins des élèves et permet une saine communication avec l’enseignant. L’enseignant ne se demande plus quelle musique il va faire jouer à ses élèves, mais plutôt quelle musique ils vont jouer ensemble. Cela mène à une forme d’enseignement plus ouverte, inclusive et démocratique que l’auteur décrira dans son dernier chapitre.
CHAPITRE 4: DESCRIPTIONS DES RÉSULATATS
Finalement, le quatrième chapitre est consacré à la description des résultats d’une forme d’enseignement plus ouverte. Selon l’auteur, opter pour une forme d’enseignement plus ouverte amène les élèves à une ouverture morale et à une démocratisation de l’enseignement. L’enseignement de la musique ne répond plus à «la norme établie » qui ne convient qu’à un nombre restreint d’élèves blancs et privilégiés. Les formes ouvertes favorisent la majorité des élèves indépendamment de leur statut socio-économique, de leurs capacités de leur orientation sexuelle ou de leur genre. De plus, les formes ouvertes amènent les élèves à faire des choix, cultivent l’indépendance d’esprit et permettent donc la liberté, qui est, en soi, le but de l’éducation.
EN QUELQUES MOTS
En conclusion, Allsup fait un habile survol de l’état de l’enseignement de la musique au 21e siècle. Il expose d’abord pourquoi le système dans lequel nous œuvrons ne répond pas assez bien, selon lui, aux besoins des élèves. Il nous amène en premier à la source du problème, c’est-à-dire aux traditions que nous conservons, mais qui ne nous servent plus, et à la recherche de solutions, à savoir un modèle d’enseignement plus flexible, alliant tradition et innovation. Dans le dernier chapitre, il met en exergue les résultats qu’un mode de fonctionnement ouvert peut engendrer dans la réalité. Ce type de fonctionnement est selon lui la porte d’entrée vers un enseignement plus démocratique et inclusif. L’auteur admet toutefois, et à juste titre, que le bloc monolithique que sont les institutions et les systèmes dans lesquels nous œuvrons en tant qu’enseignants peut être difficile à ébranler.
RÉFÉRENCES
ALSUPP, Randall Everett. Remixing The Classroom: Toward an Open Philosophy of Music Education. 2016. Indiana University Press.
WIKIPEDIA. John Dewey dernière modification le 6 mai 2022. États-Unis. Wikipedia. [https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Dewey#:~:text=John%20Dewey%20 (prononc%C3%A9%20%5B%CB%88d, Peirce%20et%20William%20James. https://fr.wikipedia.org]
COLUMBIA UNIVERSITY, Teachers College. «Randall Everett Allsupp» Automne 2014. New York. Columbia University. [https://www.tc.columbia.edu/faculty/rea10/ ](page consultée le 28 février 2022)