Soutenir le développement musical de l’enfant par la pédagogie Kodály

Un des principes de base des grandes méthodes actives développées au XXe siècle est de prendre appui sur le développement musical de l’enfant et de soutenir celui-ci de façon adéquate et cohérente. Cet article propose une revue de littérature sur l’approche pédagogique développée par Zoltan Kodály et ses complices en lien avec les nombreuses connaissances maintenant disponibles sur le développement musical de l’enfant d’âge préscolaire et primaire. Tout d’abord, une première analyse réalisée par Jean Sinor, pilier du mouvement Kodály en Amérique du Nord, sera présentée. Celle-ci traite du développement musical de l’enfant et du parallèle que l’on peut établir avec la pédagogie kodalienne. Puis, pour aider l’enseignant de musique du primaire, nous ferons un survol du développement musical et des caractéristiques d’apprentissage des élèves du primaire de manière plus générale, avant d’établir des parallèles avec la pédagogie Kodály.

Développement musical et pédagogie Kodály

Dans son article « Musical Development of Children & Kodály Pedagogy » publié originalement en 1980, Sinor (2014) explique que l’approche Kodály est basée sur quatre principes (p. 17) :

1. Le contenu doit être généré par la musique : d'abord par la musique folklorique de la culture dont l’enfant est issu, puis par la musique folklorique d'autres peuples, et plus tard, par les meilleurs exemples de musique composée.
2. L’apprentissage expérientiel de la musique, principalement par le chant, devrait précéder la compréhension cognitive.
3. L'apprentissage doit être ordonné de manière séquentielle, du plus simple au plus complexe.
4. La séquence doit être déterminée par le développement cognitif et psychomoteur des enfants à qui l’on enseigne.

Sinor établit ensuite un parallèle entre ces principes et les stades de développement cognitif mis en place par Piaget. Ces stades vont de la naissance à l’âge adulte (http://blog.univ-angers.fr/freud/2013/03/24/la-theorie-des-stades/piaget/) et représentent l’évolution de la pensée du concret vers l’abstrait, un élément particulièrement important lorsque l’on enseigne la musique aux enfants. En accord avec les stades de développement de Piaget et selon certaines études présentées dans le tableau ci-dessous, Sinor indique que les enfants semblent apprendre à percevoir et distinguer les caractéristiques propres à la musique dans un ordre déterminé allant du  volume au timbre, puis au tempo, à la durée, à la hauteur mélodique et finalement à l’harmonie. Elle spécifie aussi que l’habileté à maintenir la tonalité en chantant semble être un prérequis à la reproduction juste d’intervalles chantés. Elle cite également plusieurs études qui rapportent les moments-clés de l’acquisition de certains concepts musicaux (Tableau 1).

Sinor (2014) termine en faisant un résumé en huit points des éléments de psychologie développementale appliqués à la musique dont elle fait mention dans son article et établit également un parallèle avec l’approche Kodály (Tableau 2). 

Malgré le fait que l’article de Sinor ait été publié en 1980 et que les études auxquelles l’auteure fait référence soient encore plus anciennes, ce document demeure tout de même pertinent, car il démontre de manière convaincante la relation qui existe entre la psychologie du développement de l’enfant, l’éducation musicale en général et l’approche de pédagogie active selon Kodály.

Développement musical et caractéristiques d’apprentissage des élèves du primaire  

Gooding et Standley (2011) proposent quant à eux une revue de la littérature qui porte sur le développement musical, de la naissance à l’âge de 20 ans. Pour les besoins de cet article, nous présentons une synthèse des conclusions des auteurs en rapportant seulement les éléments musicaux qui sont acquis ou en voie de l’être chez les enfants de 5 à 11 ans (Tableau 3). Les caractéristiques présentées incluent les réponses au son, les préférences musicales, les compétences mélodiques, tonales et harmoniques, les compétences rythmiques, les habiletés motrices, les compétences vocales, les compétences instrumentales et les autres compétences musicales. Cet article est un excellent outil de référence pour l’enseignement de la musique.

En s’appuyant sur ces données issues de la recherche, certains constats et liens peuvent être faits avec la pédagogie Kodály. Il semble clair que la répétition a un effet positif sur les préférences et les apprentissages des élèves. Un enseignant qui adhère aux démarches pédagogiques kodaliennes utilisera le jeu pour s’assurer de la répétition tout en maintenant la motivation (Boucher, 2020). De plus, le même matériel sonore sera utilisé pour chanter, faire du mouvement, du chant choral, de l’écoute et apprendre la notation. 

De plus, l’enseignement des éléments mélodiques débute lorsque l’enfant a environ 6 ans, au moment où il a la capacité de discriminer et de reproduire les sons. Plus tôt, on parlera d’une préparation dans laquelle l’enfant fera une expérience des éléments musicaux de façon inconsciente. L’enseignement des éléments harmoniques est par ailleurs retardé pour s’assurer que l’enfant en ait les capacités de discriminations cognitives. La séquence d’enseignement commence par la distinction entre pulsation et rythme, puis enchaîne avec l’apprentissage des rythmes de base (noire et deux croches) (Choksy, 1999). Cela reflète également les données contenues dans le tableau 3. Par ailleurs, le répertoire vocal utilisé commence par des chansons avec de petits intervalles avant de se complexifier, et il prend en compte l’ambitus de l’enfant. Il est également suggéré de présenter la notation vers l’âge de 6 ans, ce qui correspond au contenu de la séquence de la 1re année (Szönyi, 1976). De même, comme identifié dans les données de recherche présentées plus haut, les savoirs sont organisés en suivant la progression suivante : volume, timbre, tempo, durée, hauteur et harmonie (Houllahan et Tacka, 2015).

Conclusion

Ce survol d’articles sur le développement musical des élèves du préscolaire et du primaire vise à servir d’outil de référence pour les différentes périodes liées à l’acquisition de concepts musicaux. De plus, nous avons établi les liens entre l’approche pédagogique initiée par Kodály et des données issues de la recherche. Il semble clair que l’intention initiale de soutenir le développement musical naturel de l’enfant était à la base de la mise en place de cette pédagogie et que les intuitions des pédagogues hongrois se confirment par les données probantes. Bien que tout cela soit crucial à l’enseignement efficace de la musique, il n’en demeure pas moins qu’un des principes chers à Kodály est la joie et le plaisir ressentis lors de l’expérience musicale. En tout temps, cet élément central doit demeurer un appui sur lequel construire notre enseignement et les apprentissages de nos élèves. 

 

Bibliographie

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Biographie

Audrey-Kristel Barbeau est professeure en pédagogie musicale à l’UQAM depuis 2017. Elle possède un doctorat en éducation musicale de l’Université McGill. Elle se spécialise en musique participative dans le milieu communautaire et fait de la recherche sur la relation entre la musique et le stress. Elle étudie également l’impact des pratiques instrumentales et vocales sur le bien-être, la santé mentale et le soutien social des musiciens canadiens.

À l’UQAM, elle dirige l’ensemble vocal jazz, enseigne la didactique de la musique au primaire et est superviseure universitaire pour les stages d’enseignement au préscolaire-primaire. Elle travaille présentement en collaboration avec Hélène Boucher pour la rédaction d’un ouvrage pédagogique sur la pédagogie Kodaly au Québec.

Elle est la fondatrice et la directrice générale de l’Harmonie nouveaux horizons de Montréal, le premier ensemble à vent bilingue et intergénérationnel pour musiciens débutants faisant partie de l’Association Internationale New Horizons dans la province de Québec.

Depuis 2014, elle a collaboré à la formation des ensembles Nouveaux horizons de l’Ouest-de-l ’Île, de Lanaudière et de Québec. Elle est actuellement membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique (OICRM) et du Centre de recherches interdisciplinaires en musique, média et technologie (CIRMMT).  

Hélène Boucher a complété un doctorat en éducation musicale à l’Université McGill en 2009. Elle est présentement professeure en pédagogie musicale à l'Université du Québec à Montréal, après avoir enseigné à l’Université McGill et à l’Université Laval. Parallèlement à sa formation académique, elle a enseigné la musique pendant plus de 15 ans, tant au préscolaire qu’au primaire et a reçu plusieurs prix pour l’excellence de son enseignement.

Elle est certifiée pour enseigner la formation Kodály par l'organisation américaine des éducateurs Kodály. Ses recherches portent présentement sur l'adaptation culturelle, en français pour le Québec, de l'approche Kodaly; sur le mentorat individualisé en tant que moyen d’enseignement dans la formation des spécialistes en musique; et sur la musique comme outil de régulation émotionnelle à la petite enfance.