
Myriam Bergeron est candidate au doctorat en éducation musicale à l'Université Laval.
Jonathan Bolduc (Ph. D.) est Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages.
Nous avons presque tous déjà enseigné à un ou des élèves avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Cependant, nous ne sommes pas toujours bien outillés pour intervenir auprès de ces élèves. Dans leur ouvrage Teaching music to students with autism, Alice Hammel et Ryan Hourigan, des spécialistes de l’enseignement de la musique aux élèves à besoins particuliers aux États-Unis, font le tour de la question. Les auteurs débutent leur ouvrage en exposant les critères diagnostiques du trouble. Par la suite, ils brossent un aperçu des particularités des personnes avec un trouble de l’autisme aux plans social, cognitif, et sensoriel. Finalement, ils nous donnent des exemples concrets d’activités et d’adaptations à effectuer dans nos classes de musique en fonction de chacune de ces particularités.
Caractéristiques du trouble du spectre de l’autisme
Le trouble du spectre de l’autisme touche environ 1 % de la population. Il se caractérise par des comportements restrictifs et répétitifs, des intérêts restreints et limités et des difficultés sur le plan de la communication et des interactions sociales (DSM-V, 2013). Il est important de comprendre que puisque l’autisme se présente sous la forme d’un spectre, ces caractéristiques peuvent varier en intensité d’une personne autiste à une autre, mais aussi d’une situation à une autre, et ce, tout au long de la vie de la personne autiste.
La communication, le fonctionnement et l’engagement social
La communication et les interactions sociales vont de pair dans le développement normal de l’enfant. Pour les personnes autistes, certains aspects de la communication verbale ou non verbale peuvent représenter un défi. La capacité à décoder les signes non verbaux, le contact visuel, l’attention conjointe ou les échanges verbaux en sont des exemples. Heureusement, il est relativement facile pour les enseignants de musique d’aider les élèves autistes dans ces aspects de la communication : par exemple, durant la chanson d’accueil, l’enseignant peut attendre que l’élève le regarde dans les yeux avant de lui répondre. L’élève comprendra alors que regarder dans les yeux engage une réponse positive de la part de l’enseignant. Si l’élève regarde l’enseignant et lui répond, l’enseignant peut ajouter « Comment vas-tu aujourd’hui ? » et ainsi de suite. Il aidera alors l’élève à s’engager dans un échange verbal. Par ailleurs, les autistes ont souvent de la difficulté avec l’attention conjointe, c’est-à-dire à s’intéresser et à s’engager dans une activité avec une autre personne. Il est important d’intervenir, car cette particularité peut faire en sorte qu’ils passent à côté d’apprentissages, surtout lors des activités de groupe comme le cours de musique. Pour aider les élèves autistes à s’engager davantage dans l’activité, l’enseignant au primaire peut faire des chansons trouées, c’est-à-dire chanter une chanson et demander à l’élève de terminer les phrases. Plus l’élève autiste pourra échanger et s’engager dans une activité, plus il apprendra.
Particularités cognitives et fonctions exécutives
Les élèves autistes expérimentent souvent un délai dans le traitement de l’information. Cela signifie qu’ils ont de la difficulté à traiter l’information entrante, et, par conséquent, qu’ils peuvent répondre avec un délai. Ce délai varie d’une personne à l’autre; il est ainsi important de discuter avec les intervenants en adaptation scolaire afin de s’informer adéquatement.
Par ailleurs, les élèves autistes peuvent avoir une faible cohérence centrale. Cela signifie qu’ils peuvent porter attention à des détails très fins, par exemple la hauteur des notes, mais ne pas être en mesure d’embrasser la globalité de l’œuvre musicale en tenant compte des aspects expressifs, comme les nuances, le timbre ou le fondu. Pour aider l’élève à comprendre la notion de fondu au secondaire, il peut s’avérer intéressant de préparer une série de questions comme : « Est-ce que le son de ma clarinette est plus fort que celui de mon voisin? » « Est-ce que je joue la mélodie ou l’accompagnement » Ces questions, qui peuvent d’ailleurs aider aussi les élèves dits neurotypiques, lui permettront d’activer sa pensée réflexive.
D’autre part, les fonctions exécutives, soit la planification, l’inhibition, la flexibilité, la mémoire de travail et l’attention, sont des fonctions du cerveau qui nous permettent de résoudre des problèmes complexes et de nous adapter à des situations. Chez les personnes autistes, une ou plusieurs de ces fonctions peuvent être altérées. Par exemple, un élève autiste pourrait avoir de la difficulté à planifier les étapes nécessaires avant de se rendre à son cours de musique. L’enseignant de musique pourrait alors lui fournir un livre avec des photos de l’élève accomplissant chacune des étapes nécessaires avant de se rendre en musique.
Pallier les troubles d’intégration sensorielle dans la classe de musique
Une autre particularité des autistes est leur difficulté à recevoir et à traiter certaines informations sensorielles provenant de leur environnement. C’est ce que l’on nomme le trouble d’intégration sensorielle. Ce trouble se manifeste par une hypersensibilité ou une hyposensibilité face à certains stimuli visuels, auditifs, olfactifs, gustatifs, proprioceptifs et vestibulaires. Les auteurs nous donnent des exemples concrets d’adaptation à effectuer dans la classe de musique. Il est notamment possible de fournir des coquilles insonorisantes à un élève ayant une hypersensibilité auditive, de faire jouer la musique moins fort, ou de retirer momentanément l’élève de l’activité pour qu’il prenne le temps de se réguler. Pour un élève qui aurait des hyposensibilités au plan visuel, il peut être intéressant de surligner la ligne qu’il doit chanter dans une partition de chorale à quatre voix par exemple. Pour un élève ayant des hyper ou des hypo sensibilités tactiles, il est également possible de changer la texture des objets pour les rendre plus manipulables (entourer les baguettes de xylophone avec du feutre) ou minuter le temps de manipulation (2 minutes à jouer de la batterie, 2 minutes sans jouer). Enfin, les élèves ayant des hypersensibilités au plan vestibulaire peuvent avoir de la difficulté à coordonner leurs actions motrices lors des activités de mouvement ou des danses. Dès lors, il peut s’avérer intéressant de segmenter toutes les étapes de la danse en petits mouvements, de manière à leur permettre d’intégrer celle-ci plus facilement. Au contraire, un élève qui présente une hyposensibilité au plan vestibulaire aimera danser en tournant en rond ou en se balançant.
Troubles du comportement ou difficulté d’intégration sensorielle?
Il faut comprendre que les difficultés comportementales des autistes ne sont pas intentionnelles. Elles sont plutôt le symptôme d’un trouble de l’intégration sensorielle, de l’anxiété ou de la peur face à un élément inconnu ou à un changement. De ce fait, plusieurs éléments de notre quotidien peuvent être dérangeants pour eux : les néons du local de musique, le tic-tac de l’horloge ou une lumière clignotante sur un appareil. Pour s’aider à gérer ces stimuli, l’élève autiste peut adopter des comportements stéréotypés (tourner en rond dans le local ou faire du flapping). Même si ces comportements ne sont pas communs, il est important de comprendre que les enseignants de musique ne peuvent pas les interdire puisqu’ils aident les élèves à se réguler par rapport aux stimulations de leur environnement extérieur. Il est important de discuter du comportement avec l’éducateur spécialisé de l’élève afin de savoir de quelle manière intervenir. Toutefois, il se peut que l’élève ne puisse pas gérer l’information venant de l’extérieur qu’il fasse une crise, se fasse mal ou agresse un autre élève pour démontrer son inconfort. Dans ces situations, il est primordial de trouver la source du comportement. Par la suite il faut, si possible, éliminer la source du problème. Si le problème est lié à un stimulus dérangeant, il faut l’éliminer ou l’amoindrir. (fermer les fluorescents et acheter des lampes sur pied ou fournir des coquilles insonorisantes à l’élève pour amoindrir le bruit). Si le problème est dû à de l’incompréhension ou à de l’anxiété face à un changement (l’élève est anxieux parce qu’il ne sait pas quand le cours va se terminer), il faut l’identifier et trouver l’adaptation nécessaire (fournir un Time Timer à l’élève pour qu’il voie le temps qu’il lui reste avant de quitter le local de musique. Dans tous les cas, il faut entretenir une bonne communication avec les autres intervenants de manière à connaitre les sources du comportement et à les régler.
Conclusion
Même si le trouble du spectre de l’autisme est complexe, il semble possible non seulement de pouvoir intégrer les élèves autistes dans nos classes de musique, mais aussi de leur permettre de s’améliorer sur différents aspects de leur développement. Tout au long de leur ouvrage, les auteurs nous rappellent que le temps, la pratique, la communication avec les intervenants et la consultation du plan d’intervention, sont des éléments clés pour un enseignement adapté aux autistes. Signe que la recherche au sujet de trouble du spectre de l’autimse est en constante évolution, et que le sujet de l’enseignement de la musique aux personnes autistes reste peu documenté : certains chapitres de ce livre auraient pu être plus élaborés, notamment celui concernant les troubles de l’intégration sensorielle, pour lesquelles les auteurs nous ont laissé peu d’exemples d’intervention. Par ailleurs, les exemples d’interventions ou d’adaptation sont judicieux pour la plupart, mais sont presque uniquement basés sur des théories cognitives et comportementales de l’enseignement. Ces approches permettent une bonne intégration des élèves autistes au monde des neurotypiques, mais ne servent pas nécessairement les besoins fondamentaux des autistes. Pourtant, les recherches récentes en matière d’enseignement aux élèves autistes suggèrent l’utilisation d’approches cognitives et comportementales jumelées à l’utilisation d’approches interactionnelles. Par ces méthodes, souvent associées à l’apprentissage par projet, l’élève apprend en utilisant ses ressources et celles de son environnement. Les situations d’apprentissages y sont riches de sens pour l’élève, car elles se basent sur ses forces et ses intérêts. Dès lors, les approches interactionnelles sont autant adaptées aux besoins des autistes qu’à ceux des élèves dits neurotypiques. En définitive, cet ouvrage est intéressant en soi, et demeure une belle avancée sur le chantier complexe de l’enseignement de la musique aux autistes.
Bibliographie
American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5e éd.). https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425596
Hammel, A. H. et Hourigan, R. M. (2020). Teaching music to students with autism (2e éd.). Oxford University Press.
Odier-Guedj, D. (2013). Les approches interactionnelles à l’école. Journal L’Express, 6, 6-9.
Biographie
Myriam Bergeron est détentrice d’un diplôme d’études supérieures I du Conservatoire de musique de Québec, ainsi que d’un Baccalauréat en enseignement de la musique de l’Université du Québec à Montréal. Elle poursuit actuellement ses études de doctorat en éducation musicale à l’Université Laval. Myriam cumule plus de 10 ans d’expérience en enseignement de la musique auprès d’élèves à besoins particuliers. Elle s’intéresse aux besoins de développement professionnel des enseignants de musique travaillant auprès de cette clientèle.