
Gabrielle Vézina, M. Mus., Étudiante à la maitrise en psychopédagogie, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Aimée Gaudette-Leblanc, M. Mus., Candidate au doctorat en éducation musicale, Faculté de musique, Université Laval; Professeure, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières
Depuis plusieurs années, des programmes d’éducation musicale destinés aux jeunes familles sont implantés en milieux éducatifs et communautaires ici et ailleurs dans le monde. La participation à l’un de ces programmes permet au parent d’expérimenter un nombre d’activités musicales et d’apprendre de nouvelles chansons, qu’il peut ensuite utiliser à la maison dans l’intention de soutenir le développement musical et non-musical1 de son enfant (Koops, 2019). Si plusieurs recherches ont été menées afin de documenter la façon dont ces programmes influencent les pratiques musicales des jeunes familles à court (Abad et Barrett, 2023) et à long terme (Barrett et Welch, 2021), il importe maintenant d’identifier les facteurs qui peuvent contribuer à ce changement de pratique chez les parents. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons mené une recension des écrits et avons identifié les recherches dans lesquelles l’expérience des jeunes familles ayant participé à un programme d’éducation musicale était étudiée (Abad et Barrett, 2023; Barrett et Welch, 2021; Lense et al., 2020; Lense et al., 2022; Salvador et Mayo, 2022; Savage et al., 2022). La lecture attentive de ces recherches nous a permis de répertorier plusieurs facteurs qui facilitent ou restreignent l’influence que peut avoir la participation un programme d’éducation musicale sur les pratiques musicales des jeunes familles.
Dans cet article, nous présentons ces facteurs que nous avons regroupés en quatre catégories : (1) les facteurs personnels, (2) les facteurs interpersonnels, (3) les facteurs structurels et (4) les facteurs matériels. Pour chacune de ces catégories, nous proposons des questions de réflexion ou des pistes d’action dans l’intention d’aider le lecteur à réfléchir à sa pratique.
1. LES FACTEURS PERSONNELS
Plusieurs des facteurs identifiés lors de notre recension des écrits sont associés au parent, à son histoire personnelle, à ses aspirations et à ses croyances. Ces facteurs représentent des caractéristiques individuelles qui peuvent expliquer la motivation des parents à participer à un programme d’éducation musicale avec leur enfant (Abad et Barrett 2023; Barrett et Welch 2021; Rodriguez, 2019; Savage 2015; Salvador et Mayo 2022). Ils peuvent également nous permettre de mieux comprendre la façon dont le parent agit lors de sa participation au programme (Young, 2017). Le parent cherche-t-il à acquérir des connaissances ou à développer ses compétences musicales dans l’intention d’interagir musicalement avec son enfant plus régulièrement? Cherche-t-il à offrir à son enfant l’opportunité de s’initier à la musique dès la petite enfance, à l’instar de ce qui lui a été offert lorsqu’il était, lui-même, un enfant? Croit-il que la pratique de la musique permette à son enfant de développer de nouvelles habiletés ou de faire des apprentissages? Comment répondre à ces questions?
Piste d’action # 1
Le musicien éducateur peut discuter avec les parents de façon informelle, au tout début de la session. Cela lui permettra de comprendre les raisons pour lesquelles ceux-ci participent au programme d’éducation musicale avec leur enfant, ce qui l’aidera possiblement à mieux répondre à leurs attentes (Koops et Webber, 2020; Lense et al., 2020; Lense et al., 2022; Webber et Koops 2022).
2. LES FACTEURS INTERPERSONNELS
Lors de sa participation à un programme d’éducation musicale, le parent est amené à interagir avec son enfant, mais aussi avec d’autres personnes (le musicien éducateur, les autres parents, les autres enfants) (voir Creech et al., 2021, p. 32). La qualité des interactions qui ont lieu dans ce contexte pourrait influencer les comportements des parents et des enfants pendant la rencontre et, par le fait même, faciliter ou restreindre l’adoption de nouvelles pratiques musicales. Plus précisément, le parent qui participe à un programme dans lequel le climat est positif2 pourrait être plus encouragé à participer que celui qui participe à un programme dans lequel le climat est négatif. Il pourrait aussi être plus enclin à participer dans le contexte où l’adulte responsable de la mise en œuvre du programme répond à ses besoins de façon sensible.
Onglet recherche
Les parents interrogés dans la majorité des études que nous avons lues indiquent que participer à un programme d’éducation musicale avec leur enfant leur a permis de jouer, de s’amuser et de ressentir de la joie (Abad et Barrett, 2023; Koops, 2007; Koops, 2012a; Koops et Webber, 2020; Lense et al., 2020; Lense et al., 2022; Rodriguez, 2019; Salvador et Mayo, 2022; Savage, 2015). Cela semble les avoir encouragés à reproduire les activités musicales proposées dans le cadre du programme dans d’autres contextes (à la maison par exemple), avec d’autres membres de la famille (Abad et Barrett, 2023; Koops, 2007; Koops, 2012b; Koops et Webber, 2020; Lense et al., 2020; Lense et al., 2022 ; Rodriguez, 2019; Salvador et Mayo, 2022; Savage, 2015). Notons d’ailleurs que permettre à plusieurs membres de la famille ou de la communauté (grands-parents, frères, sœurs, amis et amies) de participer au programme semble aussi encourager la pratique de la musique à la maison (Koops, 2007; Lense et al., 2020; Webber et Koops, 2022).
En somme, il semble important que le musicien éducateur qui implante un programme d’éducation musicale destiné aux jeunes familles réfléchisse à la façon dont il répond aux besoins des parents et des enfants. Nous lui suggérons également d’observer de quelles façons les participants (incluant le musicien éducateur, les parents et les enfants) interagissent tout au long de la session. Démontrent-t-ils de la joie? Peut-on les voir sourire, les entendre rire ? Donnent-ils leur point de vue? Considèrent-ils le point de vue de l’autre? Se soutiennent-ils, s’encouragent-ils? Le climat est-il positif ou négatif?
Piste d’action # 2
Le musicien éducateur peut favoriser un climat positif en adoptant une attitude positive et en répondant aux besoins des parents et des enfants de façon prévisible, cohérente et chaleureuse. Il peut valoriser la participation des parents avant, pendant et après la rencontre. Notons que les encouragements peuvent aussi être transmis à d’autres moments et par d’autres moyens (par courriel ou sur les réseaux sociaux). Une communication régulière amènera les parents à poser plus de questions et à expérimenter une plus grande variété d’activités musicales à la maison, avec leur(s) enfant(s).
3. LES FACTEURS STRUCTURELS
Dans cette catégorie se retrouvent l’ensemble des facteurs associés à la structure du programme (la durée du programme, la fréquence des rencontres, la planification et l’organisation des rencontres, le nombre de participants). D’une durée de 8 à 12 semaines, les programmes d’éducation musicale à la petite enfance sont habituellement offerts hebdomadairement à de petits groupes, allant de 4 à 10 dyades parent-enfant. En ce qui a trait à la planification, il est primordial de structurer chaque rencontre de façon à répondre aux besoins de l’enfant. D’abord, il faut commencer et terminer la séance avec une routine afin de structurer le temps alloué à la musique (une chanson de bonjour et d’au revoir). Suit parfois la présentation d’un concept musical (ou la présentation d’un thème), alors que les enfants sont attentifs. Il faut ensuite alterner les activités en fonction du niveau d’attention que chacune d’entre elles exige, et s’assurer de modéliser clairement les actions à entreprendre pour chacune d’entre elles. Bien que des variations soient possibles afin de répondre aux besoins et aux intérêts des enfants, ces activités s’enchaineront habituellement de façon prévisible. À noter qu’il importe de répéter les chansons d’une semaine à l’autre afin d’aider les parents et leurs enfants à les apprendre plus rapidement et à se sentir plus compétents. Ces facteurs faciliteraient la participation des parents et des enfants au programme (Abad et Barrett, 2023; Koops, 2012b; Koops et Webber, 2020; Lense et al., 2022; Rodriguez, 2019).
Piste d’action # 3
Le musicien éducateur peut s’assurer de bien planifier sa session. Une bonne planification l’amènera à réfléchir aux besoins des participants et lui permettra d’établir une routine dans laquelle les parents et les enfants se sentiront bien.
4. LES FACTEURS MATÉRIELS
Cette catégorie implique les facteurs concernant les ressources matérielles à la disposition des familles participantes. Le musicien éducateur offre-t-il un disque compact, un livre de chansons ou un accès à une application avec les chansons proposées dans le cadre du programme? Offre-t-il un accès à une plateforme de partage de fichiers sur laquelle on retrouve des documents audios ou vidéos? Selon les recherches auxquelles nous nous référons, offrir du matériel vidéo ou audio aux participants favorisait la reproduction des activités musicales dans d’autres contextes (Abad et Barrett 2017; Barrett et Welch 2021; Koops, 2012a; Lense et al., 2022; Salvador et Mayo, 2022).
Piste d’action # 4
Le musicien éducateur peut offrir les documents et les supports associés au thème de la semaine afin de favoriser la pratique et les discussions à la suite d’une rencontre (Abad et Barrett, 2017; Koops, 2007; Koops et Webber, 2020; Lense et al., 2020; Lense et al., 2022; Salvador et Mayo, 2022). De plus, il peut encourager l’acquisition d’instruments de musique à la maison (des œufs rythmiques, des claves), ce qui incitera les parents et leurs enfants à faire des jeux musicaux à la maison (Koops, 2007; Koops, 2012a; Koops et Webber 2020; Lense et al., 2020).
CONCLUSION
Pour conclure, cette recension des écrits nous a permis d’identifier plusieurs facteurs pouvant contribuer à l’influence de la participation à un programme d’éducation musicale sur les pratiques musicales des jeunes familles. Ces facteurs, qu’ils soient personnels, interpersonnels, structurels ou matériels, sont à considérer lors de l’implantation d’un programme de musique à la petite enfance. Comme bien d’autres (Abad et Barrett, 2023; Barrett et Welch, 2021; Stavrou et Ntani, 2023), nous sommes d’avis que la participation à un programme d’éducation musicale peut soutenir le développement musical et non-musical du tout-petit. Pour y parvenir, il serait néanmoins nécessaire d’observer un changement dans les pratiques musicales des parents (une augmentation des interactions musicales à la maison par exemple).
Nous vous encourageons à faire connaissance avec les familles avec qui vous travaillez et à chercher à comprendre leurs besoins et leurs attentes. De magnifiques changements sont possibles lorsque le contexte d’apprentissage le permet.
BIBLIOGRAPHIE
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Lense, M., Liu, T., Booke, L., Crawley, Z. et Beck, S. (2022). Integrated parent–child music classes for preschoolers with and without autism: Parent expectations and experiences. Annals of the New York Academy of Sciences, 1517(1), 78-87. https://doi.org/10.1111/nyas.14875
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1 Le développement non-musical englobe les domaines physique et moteur, cognitif, langagier, social et émotionnel.
2 Les sourires, le rire et les marques de respect sont des indicateurs d’un climat positif. À l’inverse, le sarcasme, les menaces et les agressions entre pairs sont des indicateurs d’un climat négatif (Duval et al., 2021)
BIOGRAPHIES
Gabrielle Vézina détient une maitrise en chant classique (Conservatoire de Montréal, Québec, Canada). Elle cumule 10 ans d’expérience en enseignement de la musique, anime des groupes d’éveil musical et est gérante de Musique et Compagnie - Estrie. Depuis 2023, elle étudie à la maitrise en éducation à l’Université du Québec à Montréal (Québec, Canada). Elle s’intéresse aux pratiques musicales des jeunes familles et à leurs répercussions sur le développement du jeune enfant.
Aimée Gaudette-Leblanc est détentrice d’un baccalauréat en musicothérapie (Université du Québec à Montréal) et d’une maitrise en éducation musicale (Université Laval). Elle poursuit actuellement des études doctorales en éducation musicale à l’Université Laval. Depuis 2020, Aimée est professeure au Département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières. Ses recherches visent à mieux comprendre les liens entre la pratique de la musique, la relation parent-enfant et le développement de l'enfant de 0 à 8 ans. En collaboration avec de nombreux acteurs du milieu de l'éducation, elle accompagne le personnel éducateur et enseignant, ainsi que les intervenants et intervenantes qui œuvrent auprès des jeunes familles. Par le biais de ses interventions, elle vise à les outiller en leur proposant différentes façons d'intégrer la musique dans le quotidien des tout-petits, de façon bienveillante et réfléchie.