Catherine Tardif est enseignante, chargée de cours et étudiante au doctorat à l'Université de Montréal.
Pour plusieurs enseignants, le début des classes rime avec la mise en place de règles et de méthodes. Il faudra rappeler de prendre soin du matériel, d’avoir une attitude positive ou de lever la main pour demander la parole. De nouvelles routines seront aussi à développer en fonction du matériel utilisé et des modalités d’enseignement privilégiées. Pour ce faire, l’enseignement explicite des comportements s’est révélé une méthode particulièrement efficace (Bissonnette et St-Georges, 2014). Cette méthode se déroule en trois étapes : le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome. Dans le cours de musique, on enseignera aux élèves à aller chercher leur instrument. L’enseignant ira chercher un instrument en démontrant de quelle façon le manipuler et comment regagner sa place avec l’instrument dans les mains. On demandera ensuite aux élèves de s’exécuter en sous-groupes pour pouvoir superviser l’opération de près. Au besoin, l’enseignant pourra apporter des corrections jusqu’à ce que tous y arrivent. Les cours suivants, les élèves pourront aller chercher leur instrument de façon de plus en plus autonome. Une fois ces comportements enseignés, plusieurs enseignants se tournent ensuite vers l’utilisation d’un système de récompenses pour inciter les élèves à adopter et à maintenir les comportements enseignés et attendus.
Les sytèmes de récompenses
Ces systèmes visent généralement à « reconnaître, valoriser et encourager la manifestation des comportements enseignés » ou à modifier des comportements inappropriés (Bissonnette et al., 2020, p. 136). On leur reconnait une grande efficacité en raison des bénéfices immédiats que l’on en tire (Bissonnette et al., 2020). Ils peuvent rapidement prévenir l’apparition de comportements dérangeants, soutenir l’engagement des élèves et maximiser le temps d’enseignement (Smith et al., 2022). Pour être efficaces, ces systèmes doivent cependant permettre de récompenser de façon immédiate l’observation d’un comportement attendu. Cela permet à l’élève d’associer la récompense à un comportement spécifique : ainsi, accorder un nombre de points à la fin d’un cours pour l’ensemble des comportements ou pour le déroulement global de la période pourrait ne pas avoir les effets souhaités.
L’autodétermination et le plaisir d’apprendre
Selon Smith et al. (2022), l’utilisation des systèmes de récompenses est aussi remise en doute par plusieurs chercheurs puisqu’elle pourrait détourner l’attention des élèves vers des cibles externes non liées à l’apprentissage. La réflexion de ces chercheurs s’appuie sur les fondements de la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 1985). Selon cette théorie, on distingue deux types de motivation : la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque. La motivation intrinsèque se manifeste par un désir d’accomplir une activité ou une tâche pour la satisfaction ou le plaisir qu’elle procure. Un élève qui accomplit une tâche parce qu’il est intéressé, curieux ou qu’il aime simplement l’idée de relever un défi agit sous l’impulsion de la motivation intrinsèque. La motivation extrinsèque, en revanche, est l’entreprise d’une activité afin d’en tirer profit (récompenses, valorisation, bons résultats scolaires) ou en vue d’éviter des conséquences négatives (punition, échec, rejet). Au fil des années, plusieurs études ont démontré que, lorsqu’une personne éprouve de la motivation intrinsèque envers une activité, lui offrir des récompenses effrite cette motivation au lieu de la renforcer (Paquet et Vallerand, 2016).
En d’autres mots, si la motivation principale de l’élève en classe est de répondre aux attentes de son enseignant afin de cumuler des points (motivation extrinsèque), il pourrait passer à côté d’un aspect important de son expérience d’apprentissage : développer le plaisir d’apprendre (motivation intrinsèque). Soutenir le plaisir d’apprendre est d’ailleurs une nouvelle compétence professionnelle qui fait maintenant partie du Référentiel des compétences professionnelles du personnel enseignant (Gouvernement du Québec, 2020). Elle vise à donner un sens aux apprentissages et à entretenir la curiosité de l’élève afin de cultiver son envie d’apprendre.
Motivation et engagement
La motivation des élèves peut s’observer par leur engagement scolaire en général ou par leur engagement en classe et envers les activités proposées. En effet, un élève motivé, que ce soit de façon intrinsèque ou extrinsèque, choisira de s’engager à accomplir l’activité pédagogique qu’on lui propose (Viau, 1994). On reconnait trois dimensions à l’engagement (Fredricks et al., 2004). La première, l’engagement comportemental, fait référence à la participation et au respect des consignes lors des activités d’apprentissage. La seconde, l’engagement émotionnel ou affectif, renvoie aux émotions positives et négatives engendrées par les activités. On pense à l’intérêt, au plaisir, à l’anxiété ou à l’ennui. La dernière, l’engagement cognitif, réfère aux efforts déployés par l’élève pour s’approprier le contenu du cours ou pour développer ses compétences : l’utilisation de stratégies d’apprentissage en est un exemple.
En se centrant sur le renforcement des comportements, les systèmes de récompenses se limitent principalement à la dimension comportementale de l’engagement. Un élève peut choisir d’exécuter un passage en respectant les règles de musique d’ensemble (respecter les consignes), sans pour autant s’engager cognitivement (chercher à comprendre) ou émotionnellement (éprouver de l’intérêt). Or, l’engagement cognitif et émotionnel sont nécessaires aux apprentissages (Schwartz, 2016). Cet exemple illustre ainsi un second problème lié à l’utilisation des systèmes de récompenses en classe : si le temps d’enseignement se voit maximiser par l’utilisation d’un tel système, les apprentissages le seront-ils pour autant?
Des pistes d’action pour soutenir le plaisir d’apprendre
Soutenir le plaisir d’apprendre implique de mettre en œuvre des stratégies d’enseignement qui favorisent non seulement l’engagement comportemental (participation en classe), mais émotionnel (susciter l’intérêt) et cognitif (donner un sens aux apprentissages) de l’élève. Plusieurs études identifient des pratiques qui pourraient soutenir simultanément les trois dimensions de l’engagement des élèves (Fredricks et al., 2004). Fredricks (2011) les regroupe en quatre pistes d’action :
- Montrer à l’élève que l’on se préoccupe de lui;
- Créer un environnement social positif qui promouvoit la collaboration et le sentiment d’appartenance;
- Formuler des attentes, des règles et des routines bien définies pour maximiser la participation active des élèves;
- Inclure une grande variété de tâches pour capter l’attention et l’intérêt des élèves, et leur permettre de donner un sens aux apprentissages en imaginant leur potentiel en dehors des murs de l’école.
Selon Paquet et Vallerand (2016), l’autonomie et le sentiment de compétences sont deux besoins des élèves qui constituent aussi deux piliers de la motivation intrinsèque. Par conséquent, ils proposent d’offrir aux élèves des rétroactions positives ainsi que la possibilité de faire des choix afin d’encourager la motivation intrinsèque (Paquet et Vallerand, 2016). Finalement, Fredricks et al. (2004) soulignent l’importance de construire une relation enseignant-élève positive, vu ses effets positifs sur l’engagement émotionnel et comportemental de l’élève. La relation enseignant-élève est d’ailleurs la clé de l’engagement et de l’apprentissage selon Pianta et al. (2012) en raison de son influence sur plusieurs composantes de la classe. Ces auteurs regroupent d’ailleurs ces composantes sous trois dimensions : le soutien émotionnel (reconnaissance des émotions de l’élève), l’organisation du groupe (gestion du matériel et des comportements) et le soutien à l’apprentissage (modalité et organisation de l’enseignement). Ainsi, la création d’une relation enseignant-élève positive semble être une avenue qui pourrait favoriser la mise en place de l’ensemble des pistes d’action proposées précédemment.
Conclusion
L’utilisation des systèmes de récompenses en contexte scolaire primaire s’avère parfois utile, voire nécessaire, pour pouvoir entamer la leçon. En d’autres circonstances, son utilisation pourrait cependant nuire à la motivation, au plaisir d’apprendre ou aux apprentissages des élèves. Leur utilisation appelle donc à la vigilance.
Pour pallier les contrecoups potentiels, il vaut mieux réfléchir à la mise en place de pratiques. Plusieurs pistes d’action issues des recherches sur l’engagement des élèves ont été proposées : parmi celles-ci, la création d’une relation enseignant-élève positive se taille une place de choix. Les relations positives peuvent avoir des effets tant sur le domaine scolaire (motivation, persévérance, résultats) qu’extrascolaire (comportements déviants, symptômes anxieux) (Virat, 2016). Miser sur la création d’une relation enseignant-élève positive semble ainsi l’avenue à privilégier pour encourager l’adoption de comportements attendus et soutenir le plaisir d’apprendre des élèves.
Bibliographie
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Biographie
Catherine Tardif est enseignante spécialiste en musique au Centre de services scolaire Marie-Victorin, chargée de cours à l’Université de Montréal et à l’UQÀM, et étudiante au doctorat en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal.