
Thierry Champs, professeur agrégé en pédagogie musicale, Département de musique, Université du Québec à Montréal et co-fondateur d’Axeom.
Anne Ouellet-Demers, kinésiologue B.Sc., spécialiste en exercices thérapeutiques et co-fondatrice d’Axeom.
Dans la chronique d’Axeom de la revue FAMEQ Musique et pédagogie parue à l’été 2022, ma complice Anne Ouellet-Demers (2022) a abordé le rôle important de la ceinture scapulaire dans l’organisation optimale des gestes du membre supérieur, notamment celui de la main du musicien. Dans le présent article il sera question des liens entre le positionnement des épaules et de la ceinture scapulaire, et l’impact de ce positionnement sur la respiration en vue d'identifier des pratiques bénéfiques pour les musiciens pendant leur jeu instrumental.
Ce concept, bien que discuté ici principalement dans le contexte des instrumentistes, trouve également une résonance profonde dans l'ensemble du monde musical, incluant le chant et l'apprentissage de tous les instruments, et ce, dès les premiers stades. Il est essentiel de reconnaitre que les principes de respiration et de mouvement abordés ici sont universellement applicables, que ce soit dans l'enseignement musical au primaire et au secondaire ou dans la formation des musiciens professionnels. En comprenant ces mécanismes dès le début de l'apprentissage, les enseignants et les étudiants de tous niveaux peuvent développer une technique de respiration plus efficace et plus saine, en évitant des problèmes musculosquelettiques et en améliorant leur performance musicale. Ainsi, bien que les exemples et les applications spécifiques puissent varier selon l'instrument et l’expérience, les concepts de base relatifs à la position des épaules et de la ceinture scapulaire dans le contexte de la respiration restent pertinents et cruciaux pour tous les musiciens.
CLARIFIONS TOUT D’ABORD CERTAINS ÉLÉMENTS ANATOMIQUES
L'épaule, telle que conceptualisée par les enseignants et leurs élèves, représente cette région anatomique située à l'extrémité supérieure du bras. Cette épaule en tant que région corporelle est déplacée par l'entremise de la ceinture scapulaire de manière à se rapprocher ou s'éloigner de l'oreille (mouvements que l'on nomme élévation ou abaissement), et à se rapprocher ou à s'éloigner de la colonne vertébrale (mouvements que l'on appelle rétropulsion et antépulsion), entre autres. Elle désigne également de manière plus globale la région qui comprend la ceinture scapulaire ainsi que l'articulation qui mobilise le bras par rapport au tronc. C'est cette articulation qui permet la majorité des mouvements du bras. Notez bien que pour les besoins de cet article, les mouvements décrits concernent l'épaule à titre de région anatomique et non en qualité d'articulation.
Le lien entre l'épaule et la ceinture scapulaire est donc très étroit, car cette dernière constitue la base osseuse et structurelle de l'épaule. Celle-ci est donc un ensemble anatomique et fonctionnel permettant de relier le membre supérieur au thorax (Calais-Germain, 2017). Kapandji (1968) la définit comme une rotule multidirectionnelle qui peut effectuer des mouvements dans tous les plans de l’espace.
LES QUATRE MOUVEMENTS LES PLUS OBSERVÉS
Voici les quatre mouvements les plus observés chez les instrumentistes et les effets qu'ils ont sur la respiration.
1. Élévation des épaules (Thiriet et Grand, 2015, 1:13).
Ce mouvement consiste à lever les épaules grâce aux muscles antigravitaires qui représentent le trapèze supérieur (figure 1) et l’élévateur de la scapula (figure 2). Ces muscles relient les scapulas à la colonne cervicale. Lors d'une contraction isométrique (statique) prolongée et simultanée des deux épaules, ces muscles auront tendance à verrouiller la région cervicale et entraîneront des raideurs et des inconforts musculaires dans la région des trapèzes supérieurs, avec lesquels la majorité d’entre nous sont familiers.
Attention : cette élévation scapulaire volontaire diffère de celle entraînée par une respiration complète qui, en augmentant le volume pulmonaire, provoquera une légère montée de la cage thoracique qui donnera visuellement l'illusion que les épaules montent (Papillon, 2021).
Figure 1 : Trapèze
Note. Tiré de Trapezius back [infographie], par Anatomography, 19 octobre 2012, Wikimedia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Trapezius_back.png). CC BY-SA 2.1 JP
Figure 2 : Muscles élévateurs de la scapula
Note. Tiré de Sternomastoid muscle back [infographie], par Anatomography, 9 octobre 2012, Wikimedia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sternomastoid_muscle_back.png)
CC BY-SA 2.1 JP
2. Abaissement des épaules (Thiriet et Grand, 2015, 1:17).
Mouvement contraire au précédent, cet abaissement est souvent enseigné dans le but de contrer l’élévation des scapulas ou de rechercher un relâchement exagéré des épaules. Cette fausse impression de détente générée par l'activation du trapèze inférieur (zone rouge foncé de la figure 1) entraine plutôt une crispation des muscles élévateurs qui se protègent alors pour éviter l’irritation des nerfs des membres supérieurs (Papillon, 2021). En effet, ces derniers se retrouvent ainsi coincés entre la clavicule et la première côte. L’abaissement volontaire des scapulas crée de surcroit une résistance à l’ouverture de la cage thoracique supérieure lors de l’inspiration complète.
3. Rétropulsion des épaules (Thiriet et Grand, 2015, 0:55).
Des consignes telles que « Tiens-toi droit ! », « Ouvre la poitrine » ou « Tire les épaules en arrière » peuvent entrainer un autre mouvement indésirable, celui du recul ou du rapprochement des scapulas vers l’arrière et vers le centre par l’activation des muscles rhomboïdes et des trapèzes moyens (zone rouge de la figure 1). Cela occasionne une fermeture de la région thoracique postérieure. Myers (2018) stipule que puisqu'environ 60 % du volume des poumons se situe dans la moitié postérieure du torse, la rétropulsion des scapulas occasionne une diminution du volume respiratoire dans la partie postérieure de la cage thoracique.
De plus, le recul des scapulas entraine le recul des membres supérieurs qui doivent s’engager vers l’avant pour porter l’instrument. Cette contradiction dans la direction du mouvement crée des tensions supplémentaires et indésirables.
4. Antépulsion des épaules (Thiriet et Grand, 2015, 0:50).
En d’autres mots, un écartement des scapulas vers l’avant et légèrement vers le haut grâce à la contraction du muscle dentelé antérieur (figure 3). Cela occasionne un plaquage des scapulas contre la cage thoracique qui décharge en partie le travail des muscles élévateurs des scapulas et diminue ainsi les tensions dans la région cervicale.
Ce positionnement, qui peut donner l’impression d’être « large d’épaules » sera primordial pour la respiration, surtout si l’on considère les propos de Myers (2018) cités plus haut, quant au volume important des poumons en postérieur. Cette « sensation de respirer par le dos », est très répandue chez les instrumentistes jazz de la famille des cuivres.
Attention, cette antépulsion n’implique pas le rapprochement excessif des épaules devant, qui a plutôt pour effet de refermer la région pectorale.
Figure 3 : Dentelé antérieur
Note. Tiré de Erratus anterior muscles [infographie], par Anatomography, 20 octobre 2012, Wikimedia Commons (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Serratus_anterior_muscles_back.png)
CC BY-SA 2.1 JP
Enfin, il est bon de mentionner que lors d’un abaissement ou d’une rétropulsion, l’avancée de la tête qui y est souvent associée peut provoquer des compressions vasculo-nerveusesqui peuvent créer des inconforts ou des douleurs irradiant dans tout le membre supérieur (Chamagne, 2007). Ce réflexe d’antépulsion de la tête chez le jeune instrumentiste n’est pas rare, que ce soit pour mieux lire la partition ou pour apporter les lèvres vers l’instrument (instrumentistes à vent).
En conclusion, la relation entre les différents positionnements des épaules et la respiration lors du jeu instrumental est d'une importance cruciale. Le positionnement tonique recommandé au niveau des épaules et de la ceinture scapulaire pour favoriser la respiration est donc l’antépulsion active, en prenant soin de conserver l’alignement de l’axe vertébral.Ainsi, une connaissance approfondie et une prise de conscience des mécanismes associés aux mouvements globaux de la ceinture scapulaire et des épaules sont essentielles pour assurer une performance optimale, un confort pendant le jeu et éviter les problèmes musculosquelettiques courants chez les instrumentistes. Comprendre et respecter cette mécanique complexe est la clé pour maximiser le potentiel et la santé des musiciens, apprentis comme experts.
BIBLIOGRAPHIE
Anatomography (2012, 20 octobre). Erratus anterior muscles [infographie]. Wikimedia Commons. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Serratus_anterior_muscles_back.png
Anatomography (2012, 19 octobre). Trapezius back [infographie]. Wikimedia Commons. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Trapezius_back.png
Anatomography (2012, 9 octobre). Sternomastoid muscle back [infographie]. Wikimedia Commons. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sternomastoid_muscle_back.png
Calais-Germain, B. (2017). Anatomie pour le mouvement : introduction à l’analyse des techniques corporelles. Désiris.
Chamagne, P. (2008). Biomécaniques de la ceinture scapulaire chez le musicien. Dans R. Tubiana (dir.), Prévention des pathologies des musiciens. AleXitère.
Kapandji, A.I. (2007). Anatomie fonctionnelle. Maloine.
Myers, T. W. (2018). Anatomy trains: les méridiens myofasciaux en thérapie manuelle. Elsevier.
Ouellet-Demers, A, (2022). L’indispensable ceinture scapulaire du musicien. Musique et pédagogie, 36(3), 9-11.
Papillon, M. (2021). Anatomie du musicien : technique et performance - trompette, cor trombone et tuba. Marc Papillon.
Thiriet, P. et Grand, J.-M. (2015, 1er septembre). La ceinture scapulaire [vidéo]. YouTube. https://youtu.be/Ym1pHYToQu8?si=v9kKM8cTSUcRcGol
BIOGRAPHIES
Thierry Champs est professeur agrégé en pédagogie musicale au département de musique de l'Université du Québec à Montréal et co-fondateur d’Axeom.
Anne Ouellet-Demers, kinésiologue B.Sc., spécialiste en exercices thérapeutiques et co-fondatrice d’Axeom. Violoncelliste et kinésiologue, spécialiste en exercices thérapeutiques, Anne Ouellet Demers met sa sensibilité artistique et sa fascination pour le corps humain au service du mieuxêtre des artistes. Formée à la santé des musiciens en France aux côtés de Marie-Christine Mathieu (Smart Movements), Anne figure aujourd’hui parmi les références québécoises en matière de prévention, de traitement et d’enseignement de la santé auprès des musiciens. Elle est régulièrement sollicitée par les institutions d’enseignement de la musique et les orchestres à titre de conférencière. Anne a également participé à la formation des kinésithérapeutes français lors de la formation Les musiciens ont besoin de nous (France 2016), ainsi qu’à l’enseignement universitaire en kinésiologie à l’Université de Sherbrooke (2017) et en musique à l’Université de Montréal (2019).
Axeom est une ressource unique qui propose un accompagnement personnalisé offrant des services de prévention, d’éducation et d’optimisation artistique auprès des artistes professionnels et amateurs et des pédagogues. Son approche conçue spécifiquement pour répondre aux exigences du milieu artistique et pédagogique est basée sur l’anatomie fonctionnelle et la mécanique respiratoire. Contact : info@axeom.ca