Guylaine Vaillancourt, Ph. D., professeure agrégée émérite en musicothérapie à l’Université Concordia.
Pour plusieurs enseignantes et enseignants en musique et pour les musicothérapeutes, la musique fait partie de notre vie dès un très jeune âge; elle nous a accompagnés durant l’enfance et l’adolescence, à travers les moments de joies, de difficultés et de défis. Elle nous a permis de nous épanouir et de nous réaliser dans une profession qui nous passionne.
On entend parfois de notre entourage ou de connaissances que la musique est « thérapeutique » : « la musique, ce fut ma thérapie » ou « la musique a été une bouée de sauvetage ». Ces témoignages nous amènent à clarifier ce qu’est la « thérapie », car plusieurs situations peuvent être interprétées comme étant thérapeutiques : un concert, une prestation musicale, une sortie en nature, une confidence à un proche, un voyage et plus. Le but de cet article est de s’attarder plus spécifiquement à ce qu’est la thérapie qui utilise la musique, soit la musicothérapie.
Une précision qui nous aide à mieux définir la musicothérapie est que celle-ci requière un thérapeute ayant des compétences musicales et cliniques pour accompagner des enfants, des jeunes et des adultes qui vivent des situations précaires, dues soit à des handicaps physiques ou cognitifs ou des défis au plan émotionnel ou psychosocial. Dans le milieu scolaire, l’offre de musicothérapie pour les élèves doit faire l’objet d’un consentement écrit par les parents ou par la personne représentante légale afin d’être bien informés pour prendre une décision éclairée quant à un suivi thérapeutique pour leur enfant.
Plus précisément
La musicothérapie est une discipline dans laquelle les musicothérapeutes certifiés (MTA) font un usage réfléchi de la musique dans le cadre de relations thérapeutiques pour favoriser l’épanouissement, la santé et le bien-être. Les musicothérapeutes utilisent la musique de façon sécuritaire et éthique pour répondre aux besoins humains dans les domaines cognitif, communicatif, émotionnel, musical, physique, social et spirituel. (Association canadienne des musicothérapeutes, 2020)
Objectifs poursuivis en musicothérapie
La musicothérapie permet aux élèves de s’investir aux plans physique, émotionnel, cognitif et social. Les objectifs thérapeutiques visent en outre à :
- Développer ou maintenir les habiletés motrices et physiques par le biais de l’exploration d’instruments musicaux, du chant, de la danse et du mouvement;
- Soutenir les processus émotionnels complexes, développer et consolider l'estime de soi ou offrir des moyens d'expression;
- Acquérir, renforcer ou maintenir des habiletés cognitives (mémoire, vocabulaire, concentration, etc.) grâce au travail avec les chansons personnalisées, composées, improvisées;
- Travailler des habiletés sociales de communication et procurer un sentiment d’appartenance en expérimentant divers rôles (initier, imiter, diriger, etc.) en dyade et petits groupes musicaux (Wheeler, 2015).
Méthodes en musicothérapie
La créativité est au cœur de la pratique en musicothérapie à travers l’improvisation instrumentale et vocale, et la composition de chansons par exemple. La créativité est mise à profit à travers l’exploration musicale afin de développer de nouvelles stratégies de vie à partir des ressources personnelles des élèves. Celles et ceux qui font face à des difficultés et à des échecs dans leur parcours scolaire et à la maison, parfois au quotidien, ont ainsi la possibilité de vivre des expériences gratifiantes qui ont un impact sur l’estime de soi et la confiance en soi. Les élèves qui vivent un succès se sentent valorisés et ont souvent envie de renouveler l’expérience. Un des buts poursuivis en musicothérapie est que ce sentiment d’accomplissement se transpose dans d’autres matières et tâches en classe, et pour certains élèves, qu’il apaise l’anxiété présente.
L’improvisation thérapeutique est l’une des méthodes d’intervention les plus utilisées en musicothérapie. La méthode utilise la musique, une modalité non verbale pour créer un pont relationnel entre l’élève et la ou le thérapeute. L’accent est mis sur le processus, soit l’observation de la manière dont l’élève s’investit dans la musique pour s’exprimer, communiquer, se développer.
Les interactions ou dialogues musicaux inspirés du matériel musical initié par l’élève visent à développer une relation de confiance et à soutenir le processus thérapeutique tout au long du suivi hebdomadaire. Les musicothérapeutes utilisent le piano, la guitare ou l’équivalent, la voix ou leur instrument principal, que ce soient les cordes, les vents ou autres, pour entrer en contact et créer un lien avec l’élève.
Les musicothérapeutes reprennent par exemple une tonalité, un motif mélodique ou rythmique exprimé par l’élève et utilisent des techniques d’improvisation thérapeutique pour amplifier, arranger, prolonger cette expression musicale pour la ou le rejoindre. Il y a plus de 60 techniques d’improvisation exécutées au piano, à la voix ou aux autres instruments par la ou le musicothérapeute qui peuvent être déployées selon les besoins de l’élève (Bruscia, 2014).
L’improvisation vocale amène l’exploration de la voix, la création, la chanson personnalisée. La voix représente pour certains l’expression la plus intime et chargée émotivement. La ou le musicothérapeute peut donc faire écho à l’expression vocale émise par l’élève, la ou le rejoindre dans la même tonalité au piano, et ainsi être relié (e) musicalement dans une expérience non verbale significative.
Selon Hartley et al., (2009) :
- L’improvisation instrumentale et vocale permet d’articuler de manière créative un répertoire expressif et des sentiments humains;
- Les forces inhérentes à la musique (tempo, mélodie, rythme, nuances, etc.) dans lesquelles la personne et la ou le thérapeute s’engagent constituent des agents de changement;
- La relation thérapeutique favorise un climat de confiance et un sentiment de sécurité qui encourage l’expression personnelle spontanée;
- La motivation à communiquer augmente dans un contexte d’écoute et de réponse à travers la musique. (traduction libre)
Cadre thérapeutique
La musicothérapie offre un cadre structurant. Le degré de structure musicale comme celui de la séance de thérapie qui dure de 30 à 50 minutes, varie selon les besoins de l’élève ou du groupe. Ainsi, un groupe (2 à 5 élèves) qui se désorganise a besoin d’un cadre structurant (utilisation d’éléments musicaux comme le rythme et la forme musicale) pour arriver graduellement à développer sa propre structure interne, tandis qu’un groupe plus hésitant a besoin d’une structure fluide qui permettra d’élargir le répertoire expressif (improvisation et composition musicales). Les musicothérapeutes s’attardent toujours à identifier les causes sous-jacentes qui influencent la qualité de participation et l’auto-régulation de l’élève ou du groupe, entre autres pour bien adapter la structure de l’intervention. Les thérapeutes sont sensibles aux sentiments d’anxiété, d’insécurité ou de peur que peuvent ressentir les élèves et pourront faire au besoin, un suivi avec l’équipe interdisciplinaire.
Le contexte culturel et social s’ajoute à la nécessité de bien saisir les enjeux. Des considérations éthiques qui impliquent le respect, la dignité, le droit des élèves et leur protection sont toujours présentes chez les musicothérapeutes assujettis à un code d’éthique.
Stratégies pour accompagner les élèves
Les suggestions qui suivent ne sont peut-être pas nouvelles pour les enseignant(e)s de musique et ont déjà été essayées. Je me permets tout de même d’offrir quelques actions pratiques pour l’accompagnement des élèves.
Comme nous avons une formation en musique, nos sens sont aiguisés, principalement l’ouïe. Nous avons une capacité à observer et à écouter « l’expression sonore et corporelle » de l’élève, c’est-à-dire qu’on peut faire une « lecture » de l’élève comme si elle ou il représentait un instrument de musique avec une résonance unique. Est-ce qu’il y a de la tension, de l’inconfort, de l’hésitation, de l’apathie, dans son langage non verbal? Il est alors possible d’adapter l’approche pédagogique aux points de vue musical et vocal, dans le langage parlé, dans le choix des instruments et des éléments musicaux, un peu comme pour se synchroniser ou s’accorder musicalement.
Il est aussi possible d’aménager l’environnement sonore et sensoriel auquel l’élève est exposé, et d’agir en conséquence pour « calmer le système nerveux » en ajustant le niveau sonore et sensoriel, plus spécialement pour des enfants autistes ou des élèves qui ont vécu des traumatismes divers.
Observer et valoriser leurs forces, leur créativité, leurs intérêts, contribue à améliorer l’estime de soi. Créer des chansons personnalisées qui incluent leur nom aide à renforcer leur identité. Donner des responsabilités « musicales » et des rôles peut augmenter la confiance en soi. Créer des opportunités de jouer en duo, en trio ou à plus favorise la socialisation et l’exploration de nouveaux rôles. Offrir des expériences qui permettent d’initier en plus d’imiter des éléments musicaux contribue à développer la créativité, l’autonomie et le leadership.
L’interdisciplinarité est essentielle pour les musicothérapeutes qui travaillent en milieu scolaire. La communication avec les personnes qui gravitent autour de l’élève tels les parents, les enseignant(e)s de musique, les enseignant(e)s titulaires, les professionnel(le)s de la santé (éducation spécialisée, ergothérapie, orthopédagogie, orthophonie, physiothérapie, psychoéducation, psychologie, travail social, etc.), est une source d’information importante pour s’assurer de la cohérence et de l’orientation de l’intervention.
Le droit des enfants à la musique
Je profite de cet article pour partager avec vous un projet éducatif parrainé par Patrimoine Canadien et réalisé par l’Université Concordia à Montréal intitulé Le droit des enfants à la musique/Children’s Right to Music. Ce projet, qui prône un plein accès à la musique, à la participation et à l’apprentissage de la musique pour tous les enfants, est basé sur les chartes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) :
- Convention relative aux droits des enfants;
- Convention relative aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle ou physique;
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Ce projet inclut des ressources en musicothérapie et en éducation musicale offertes gratuitement en ligne, en français et en anglais (Université Concordia, 2012). On y retrouve des vidéoconférences, des documents de présentations Power Point, des extraits vidéos de séances en musicothérapie, ainsi que des ressources musicales pour les élèves de la petite enfance, du primaire et du secondaire avec des besoins spécifiques.
Formation des musicothérapeutes
Les musicothérapeutes détiennent une formation universitaire offerte seulement par l’Université Concordia au Québec, soit un diplôme de 2e cycle et une maitrise en musicothérapie dans le Département de thérapies par les arts de la Faculté des beaux-arts, en plus des programmes de maitrise en art thérapie, en thérapie par l’art dramatique et en thérapie par le jeu. Il est important de mentionner que les étudiant(e)s peuvent faire leurs travaux et stages en français si elles et ils le désirent. Au Canada, il existe quatre programmes de formation en musicothérapie de 1er cycle (Colombie-Britannique, Manitoba, Nouvelle-Écosse, Ontario) et deux programmes de 2e cycle (Ontario et Québec).
Afin de bien saisir en quoi consiste la formation des musicothérapeutes, voici les conditions d’admission dans ce programme : les candidates et candidats doivent détenir un baccalauréat en musique ou l’équivalent, une mineure en psychologie (24 crédits) et soumettre un enregistrement d’une audition comprenant des pièces au piano, à la guitare et à la voix. Durant leur formation, les étudiant(e)s complètent un internat de 1 200 heures qui les rend éligibles à la certification de Musicothérapeute certifié (MTA) délivrée par l’Association canadienne des musicothérapeutes (ACM).
La formation universitaire inclut le développement de compétences musicales d’improvisation thérapeutique, de méthodes musicales actives et réceptives, et de compétences cliniques et thérapeutiques.
Au terme de leur formation, les musicothérapeutes possèdent :
- Une compréhension du développement psychosocial et neurobiologique;
- Une compréhension des caractéristiques et besoins associés à diverses problématiques en santé physique et mentale;
- Une connaissance de la musique et de son impact sur le comportement humain;
- Des habiletés de documentation clinique, incluant une évaluation initiale, la rédaction d'évaluation, de plans d'intervention et de notes, et de rapports d’évolution;
- Des habiletés musicales avancées, incluant l’utilisation de l’improvisation clinique (piano, guitare, voix, autres);
- Une connaissance de modèles, de méthodes actives et réceptives, d’approches et techniques spécifiques en musicothérapie.
Ouvrir son milieu aux stagiaires en musicothérapie
Il peut être intéressant d’accueillir des stagiaires en musicothérapie dans les établissements d’enseignement. Ces expériences leur permettent d’appliquer les connaissances et les compétences acquises durant leurs cours, et de faire le lien entre la théorie et l’expérience clinique.
Certaines conditions sont nécessaires pour accueillir des stagiaires en musicothérapie, soit un local fermé pour offrir les séances et des instruments de musique ciblés (piano, guitare, percussions). Des arrangements peuvent être pris avec l’Université Concordia pour emprunter quelques instruments ou des fondations peuvent contribuer à l’achat d’instruments. Les stagiaires offrent des séances individuelles et en petits groupes. La supervision de groupe et en dyade est offerte à l’Université, et le milieu scolaire doit offrir une heure de supervision par semaine. La personne superviseure sur les lieux doit détenir une maitrise sinon un baccalauréat avec expérience équivalente. Idéalement, si l’école offre déjà de la musicothérapie, la ou le musicothérapeute en place s’occupe de la supervision; sinon, des professionnels cliniciens qualifiés en ergothérapie, psychoéducation, psychologie ou travail social en sont responsables.
Les enseignant(e)s en musique sont des allié(e)s important(e)s pour les musicothérapeutes. Lors de stages, leur connaissance des élèves et de leurs intérêts musicaux peut aider les musicothérapeutes à orienter leurs interventions. Les musicothérapeutes peuvent également offrir des rencontres ou ateliers de perfectionnement, en personne ou en ligne, pour les enseignant(e)s de musique, ou avoir un rôle conseil dans les milieux scolaires afin de les soutenir auprès d’élèves requérant un accompagnement plus spécifique ou dans les classes ressources.
Pour l’instant, les stagiaires sont présent(e)s dans la grande région de Montréal durant les sessions d’automne (stage I) et d’hiver (stage II), car leurs jours de cours et de stage sont intercalés, ce qui rend difficile de faire des stages à l’extérieur de Montréal. Les stagiaires peuvent par contre faire une partie de leur stage de Printemps/Été (stage III) à l’extérieur de Montréal de la mi-mai à la fin juin dans une école, à raison de 4 jours par semaine, puis poursuivre leur stage de juillet à la mi-août avec des enfants ou adolescent(e)s ayant besoin d’accompagnement spécifique dans un centre de petite enfance ou dans d’autres types d’organismes en déficience intellectuelle ou autisme de la même région. Comme pour les stages d’automne et d’hiver, les stagiaires doivent être supervisés par une personne professionnelle clinicienne. Ces stages sont plus fréquents quand les stagiaires proviennent de l’extérieur de Montréal et retournent dans leur région.
Vous pouvez contacter directement le Département de thérapies par les arts si vous désirez accueillir des stagiaires à votre école : practicum.arts.therapies@concordia.ca
Conclusion
La musique devrait être présente dans toutes les écoles : ce n’est pas une surprise pour les personnes qui enseignent la musique et les musicothérapeutes qui en connaissent les bénéfices pour les élèves. Autant en éducation musicale qu’en musicothérapie, la musique contribue au développement global de l’élève. Il est à souhaiter qu’il y ait davantage de place pour la musique et la musicothérapie dans les écoles, comme mesure préventive et réparatrice dans certains cas de défis émotionnels et psychosociaux, et pour donner l’opportunité aux élèves de réaliser leur plein potentiel.
Références
Association canadienne de musicothérapie (2020). À propos de la musicothérapie. https://www.musictherapy.ca/fr/a-propos-de-l-amc-et-de-la-musicotherapie/a-propos-de- la-musicotherapie/
Bruscia, K. E. (2014). Defining Music Therapy (3rd ed.). Barcelona.
Hartley, M., Turry, A., & Raghavan, P. (2010). The Role of Music and Music Therapy in Aphasia Rehabilitation. Music and Medicine (2) 4, 235-242.
Université Concordia (2012). Le droit des enfants à la musique/Children’s Right to Music. Faculté des beaux-arts, Département de thérapies par les arts. https://musictherapy.concordia.ca/index_files/Page513.htm (en français)
http://musicotherapie.concordia.ca (en anglais)
Wheeler, B. (ed.) (2015). Music Therapy Handbook. Guilford.
Ressources en français
Baratanga (Louis-Daniel Joly). Activités de percussions en milieu scolaire. http://www.baratanga.com/Boutique.html
Corneille, M. (1999). Épanouissons-nous par la musique. Mayfair Music Publications. (Traduction et adaptation française de Birkenshaw-Fleming, L. 1989. Come on everybody. Let’s sing!).
Oldfield, A. (2012). La musicothérapie interactive - une approche nouvelle avec des enfants autistes et polyhandicapés et leur famille. L’Harmattan. (Traduction française de Interactive Music Therapy – A Positive Approach. 2006. Jessica Kingsley).
Orff, G. (1990). Concepts-clé dans la musicothérapie Orff. Éditions Alphonse Leduc. (Traduction française de Key concepts in the Orff music therapy, 1974. Schott).
Vaillancourt, G. (2005). Musique, musicothérapie et développement de l’enfant. Éditions CHU Sainte-Justine. (Traduit en anglais, italien et espagnol).
BIOGRAPHIE
Détentrice d’une maitrise en musicothérapie de la New York University et d’un doctorat en Leadership and Changes in the Profession de Antioch University (Ohio, EU), Guylaine Vaillancourt a travaillé en Suisse, aux États-Unis, au Venezuela, en Martinique et à Cuba. Musicothérapeute depuis plus de 30 ans, elle a été présidente de l’Association québécoise de musicothérapie et l’Association canadienne des musicothérapeutes. Elle a publié l’ouvrage Musique, musicothérapie et développement de l’enfant aux Éditions du CHU Sainte-Justine, disponible en anglais, en italien et en espagnol.
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