Catherine Tardif, Chargée de cours (UQAM et UdeM), enseignante spécialiste en musique (CSSMV) et doctorante en sciences de l’éducation (UdeM).
Aujourd’hui, Johanne a prévu enseigner une nouvelle pièce pour aborder la forme musicale. Comme à tous les cours, elle accueille ses élèves en leur faisant répéter quelques formules rythmiques. Elle enseigne ensuite les paroles d’une nouvelle pièce aux élèves, puis les ostinatos rythmiques qui accompagneront chacune des sections. Tout au long de la période, elle utilise des stratégies d’enseignement interactives, dont principalement l’enseignement par imitation. Elle ponctue aussi son enseignement de questions aux élèves. Chaque fois, Alex lève la main; or, comme il y a 24 élèves dans sa classe, il quitte le cours en ayant eu qu’une seule occasion de rendre la parole. Sa collègue, Anaïs, est aussi déçue. Elle connaissait déjà cette pièce, mais elle n’a pas eu l’occasion d’en faire part au groupe.
Le langage et le dialogue sont les outils pédagogiques de base. Les personnes enseignantes peuvent donner des explications et des informations, ou encore questionner les élèves qui, en retour, ont alors l’occasion d’expliquer, de s’exprimer et d’explorer des idées (Robin, 2009). Le temps de parole de chacun est délimité par l’organisation de la leçon et les rôles respectifs de chacun(e). Bucheton et Soulé (2009) nomment l’environnement dans lequel ont lieu les échanges et les discussions en classe l’espace dialogique. Ces échanges se présentent de plusieurs façons (en grand groupe, en sous-groupe ou en dyade) et entre différentes personnes (entre la personne enseignante et un ou plusieurs élèves, ou encore entre pair(e)s). L’espace dialogique en classe est un élément crucial qui devrait être pris en compte par les personnes enseignantes considérant qu’il peut influencer plusieurs aspects de l’expérience scolaire. Cet article met en lumière l’importance de partager le temps de parole en classe pour offrir une expérience d’apprentissage de qualité et propose des pistes d’actions concrètes pour y arriver.
LES INTERACTIONS EN CLASSE
Les interactions entre les élèves devraient être une préoccupation centrale du personnel scolaire puisque la qualité de celles-ci a une incidence importante sur le développement identitaire, l’estime de soi et la compétence sociale des élèves (Bouchard, 2022), sur l’ensemble des domaines de développement de l’enfant (Paul, 2020) ainsi que sur l’expérience en classe, tant des élèves que du personnel enseignant (Gaudreau, 2023; Rousseau et Espinosa, 2018).
Les interactions entre pair(e)s permettent aux élèves de s’exercer à reconnaitre et à contrôler leurs émotions (Knafo et Israel, 2012). Elles permettent aussi aux élèves de développer leur empathie (Paulus, 2016) ainsi que d’apprendre à partager avec les autres et à les aider (Eisenberg et al., 2006). En outre, c’est au contact des autres que se construit la représentation que les enfants ont d’eux-mêmes. En se comparant à leurs pair(e)s et aux modèles qui les entourent, ils en viennent à identifer qui ils sont et qui ils veulent être (Bouchard, 2022).
En classe de musique, l’habileté à reconnaitre ses émotions et le développement identitaire sont des compétences essentielles. Elles sont par exemple nécessaires pour que les élèves soient en mesure de faire des liens entre leurs apprentissages et leur ressenti ou encore si l’on veut les encourager à « intégrer la dimension artistique dans sa vie quotidienne », tel qu’il est attendu dans le Programme de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 2006, p. 190).
Les interactions entre la personne enseignante et ses élèves, pour leur part, jouent un rôle particulièrement important dans le développement d’une relation de qualité. Une relation de qualité entre adulte et l’enfant en contexte éducatif est marquée par la sensibilité de l’adulte aux besoins de l’enfant, la réciprocité, la proximité physique et psychologique, et l’engagement de l’adulte (Bouchard, 2022). La qualité de ces relations se lie au sentiment de sécurité de l’élève, à son estime de soi (Bouchard, 2022), mais aussi à la gestion de classe (Rousseau et Espinosa, 2018).
Dans son ouvrage sur la gestion de classe, Gaudreau (2023) résume plusieurs études qui rapportent que les relations positives entre la personne enseignante et ses élèves sont associées à une faible présence de comportements d’indiscipline, à un meilleur climat scolaire et à un plus grand engagement de la part des élèves, voire à de meilleurs résultats scolaires. Selon Rousseau et Espinosa (2018), la personne enseignante qui offre un soutien social de qualité se montre disponible et à l’écoute. Elle s’intéresse aux élèves et adopte « une posture respectueuse, bienveillante et authentique » (Rousseau et Espinosa, 2018, p. 20).
PISTES D’ACTIONS POUR AMÉLIORER L’ESPACE DIALOGIQUE
L’enseignement de la musique, particulièrement lors des activités d’interprétation, est teinté d’un legs de la pratique de la musique d’ensemble. On retrouve alors à l’avant de la classe le ou la chef(fe) et, rassemblé(e)s en rangées devant elle ou lui, les musicien(ne)s qui attendent silencieusement les consignes. L’apprentissage par imitation est une stratégie d’enseignement prônée dans les méthodes actives et que l’on retrouve fréquemment en salle de classe (Dauphin, 2004). Toutefois, cette façon de faire laisse parfois peu de place à l’élève pour prendre la parole. Pour répartir plus équitablement le temps de parole en classe, on peut proposer des activités coopératives et de jeu entre les élèves (Robert-Mazaye et Salvas, 2019).
Concrètement, les moments d’échange entre pair(e)s peuvent être utilisés pour activer les connaissances antérieures des élèves. On peut, par exemple, demander aux élèves d’échanger avec leur voisin(e) de classe sur le contenu du cours de la semaine dernière ou de se rappeler une notion qui avait été enseignée précédemment. Ces échanges peuvent être très brefs (une ou deux minutes), mais sont toutefois suffisants pour permettre à chaque élève de la classe de s’exprimer sur un sujet donné.
Les échanges en sous-groupes sont aussi appropriés pour faire de l’appréciation musicale. Les élèves peuvent ainsi échanger avec leurs pair(e)s sur la pièce qui vient d’être écoutée ou jouée. En mettant en commun leurs réflexions, ielles peuvent bonifier leurs appréciations et parfois mettre les bons mots sur le ressenti qu’ielles tentent de décrire. Les formations en sous-groupe avec des pair(e)s de confiance peuvent aussi favoriser l’expression des émotions. Il est parfois plus confortable d’exprimer ses émotions sincères uniquement à un(e) ami(e) plutôt qu’à toute une classe. Selon le format du cours et de la période, on peut ensuite demander à un(e) responsable de partager les réflexions de son équipe à l’ensemble de la classe.
Enfin, pour accroître l’espace dialogique en classe, il est aussi possible de réaliser des activités d’interprétation en sous-groupe, sous forme de sectionnelles ou d’ateliers par exemple. Au primaire, on peut regrouper les instruments par section dans les coins d’une classe et demander aux élèves de répéter leur partition en groupe de 4 ou 5. Pour les instruments à lames, la pratique peut se faire avec les doigts afin de limiter le volume sonore. De même, on peut demander aux élèves qui jouent la section de flûte d’utiliser une sourdine ou de jouer « au menton » en nommant les notes ou le rythme à voix haute. En regroupant les instruments par section, il devient aussi possible de faire des rotations de sorte que chaque élève ait l’occasion de répéter chacune des parties de la pièce à son propre rythme. En travaillant en sous-groupe, les élèves ont l’occasion d’échanger avec leurs pair(e)s. Ielles peuvent ainsi partager leurs stratégies d’apprentissage, demander de l’aide et s’en offrir. Pendant ce temps, la personne enseignante peut circuler pour offrir de la rétroaction ou de l’aide ponctuelle aux élèves qui en ont besoin. Ainsi, le travail en sous-groupe offre non seulement l’occasion aux élèves de prendre la parole plus souvent, mais encourage également les échanges entre les élèves et la personne enseignante.
Superviser les travaux d’équipe est d’ailleurs un autre moyen concret d’augmenter les interactions individuelles, d’apprendre à mieux connaitre ses élèves et d’ainsi pouvoir bâtir une relation affective positive avec chacun(e) (Gaudreau, 2023). Il est aussi possible de planifier de courtes périodes de jeux non structurés avec les élèves, d’organiser des activités spéciales ou de s’impliquer lors de celles-ci, ce permet à la personne enseignante de participer au même titre que les élèves (Rousseau et Espinosa, 2018).
Le développement d’une relation affective positive avec les élèves passe aussi par l’adoption de certaines attitudes : agir de façon chaleureuse, faire preuve de constance et de prévisibilité dans les réponses, souligner et valoriser les efforts, souligner les forces des enfants et s’y appuyer dans ses interventions, soutenir les enfants face à leurs difficultés, etc. (Bouchard et al., 2011). En classe, cela se traduit aussi par l’écoute dont la personne enseignante fait preuve envers ses élèves. Le temps d’enseignement des spécialistes est limité. Il n’est pas toujours possible de prendre le temps de répondre à toutes les questions ou d’écouter tous les commentaires. Cela dit, il demeure important de faire sentir à l’élève que la personne enseignante s’intéresse à lui ou à elle. Proposez par exemple aux élèves de poursuivre la discussion lors de votre prochaine surveillance dans la cour de récréation ou lors des périodes de récupération. Vous pouvez aussi demander aux élèves de noter leurs réflexions pour pouvoir poursuivre la discussion au prochain cours, mais n’oubliez pas de planifier du temps la semaine suivante pour y revenir.
CONCLUSION
Les échanges en classe contribuent de façon importante au développement de relations sociales positives. Ces relations jouent un rôle crucial, tant pour le bon déroulement des activités que pour permettre à l’élève et au personnel enseignant de vivre une expérience scolaire positive (Gaudreau, 2023).
Porter attention à l’espace dialogique en classe implique de reconsidérer la posture de la personne enseignante au sein du groupe. Il devient alors possible de reléguer une portion du contrôle aux élèves pour les rendre plus autonomes dans leurs apprentissages, ou de prendre plus de temps pour les superviser et les observer. Enfin, offrir la possibilité aux élèves d’échanger avec leurs pair(e)s et avec la personne enseignante peut permettre de mieux connaitre ses élèves et d’ainsi mieux répondre à leurs besoins.
PISTES DE RÉFLEXION
Comment décririez-vous l’espace dialogique de votre classe?
À combien de minutes par période estimeriez-vous le temps de parole de vos élèves?
Quelles modalités aimeriez-vous mettre en place pour augmenter le temps de parole de vos élèves?
BIBLIOGRAPHIE
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