Myriam Bergeron, candidate au doctorat en éducation musicale à l’Université Laval.
Jonathan Bolduc, Ph. D., titulaire de la Chaire de recherche du Canada en musique et apprentissages.
Il n’est pas toujours facile de répondre aux besoins éducatifs d’élèves autistes en musique. Selon notre milieu, l’information que nous recevons pour enseigner à ce type d’élèves peut être contradictoire, morcelée ou non adaptée à l’enseignement de la musique (Grimsby, 2020). Pourtant, la recherche a démontré que les activités musicales pouvaient permettre aux élèves autistes d’outrepasser certains déficits cognitifs (Pater et al., 2022; Schmid et al., 2020; Sharda et al., 2018). C’est dans le cadre de mon premier examen doctoral, dans lequel je devais répondre à une question sur l’éducation musicale en effectuant une recension des écrits scientifiques que j’ai eu la chance de me pencher sur la question. Tout a débuté à l’automne 2023 lorsque la mère d’une élève autiste m’a fait remarquer que bien que sa fille apprécie les comptines et la musique, elle n’était pas capable de reproduire ce qu’elle avait appris à l’école à la maison. En somme, la mère aurait aimé chanter et partager un moment privilégié avec sa fille. C’est à partir de cette demande que j’ai décidé de répondre à la question suivante : comment la musique peut-elle améliorer la communication et les interactions sociales des enfants autistes ?
Dans cet article, je présenterai les concepts inhérents à cette question de recherche et je résumerai la recension des écrits que j’ai effectuée. Enfin, je présenterai l’application pédagogique que j’ai réalisée avec mes élèves.
Définition de l’autisme
D’abord, il convient de définir l’autisme. Le trouble du spectre de l’autisme (TSA) est un trouble neurodéveloppemental qui touche de 0,9 % à 1,5 % de la population mondiale (Fombonne, 2020). Les personnes autistes ont des déficits persistants dans deux pôles distincts, soit : 1. La communication et les interactions sociales; 2. Les comportements répétitifs ou les activités ou centres d’intérêt restreints. (American Psychiatric Association [DSM-5], 2015). Dans le cadre de cet article, nous allons nous concentrer sur le premier pôle, soit celui de la communication et des interactions sociales. Selon le dictionnaire de l’American Psychiatric Association (APA), les interactions sociales se définissent comme « Tout processus impliquant une stimulation ou une réponse réciproque entre deux personnes ou plus », alors que la communication se définit comme « une transmission verbale ou non verbale d’information » (APA, 2023).
Maintenant que nous avons défini l’autisme, il serait intéressant de comprendre pourquoi les personnes autistes vivent des difficultés communicationnelles et interactionnelles et surtout, en quoi les activités musicales peuvent leur permettre de les outrepasser. En fait, les autistes ont des caractéristiques cognitives et développementales particulières. Ces particularités, non mutuellement exclusives, peuvent servir à expliquer un ou plusieurs comportements observés lors de leurs interactions sociales.
Premièrement, d’un point de vue cognitif, les personnes autistes ont généralement une faible théorie de l’esprit. La théorie de l’esprit est la capacité de se représenter les désirs, les pensées et les croyances des autres (Frith, 1989). Cela expliquerait leurs difficultés marquées avec l’attention conjointe, c’est-à-dire la capacité à s’engager dans une activité avec une autre personne et à maintenir un intérêt (Poulin et al., 2020). Deuxièmement, les autistes présentent aussi un surfonctionnement perceptif, comme décrit par le chercheur montréalais Laurent Mottron (Mottron et al., 2006) soit une utilisation disproportionnée de la perception au détriment d’autres processus comme la mémoire, les émotions ou le langage. Finalement, les enfants autistes ont souvent un retard de langage. Au préscolaire et au primaire, ils peuvent utiliser un langage atypique ou s’en tenir au mutisme (Poirier et Des Rivières-Pigeon, 2013). Il va de soi que cela peut nuire à leurs interactions sociales.
L’apport de la musique pour les personnes autistes
Maintenant, quel est l’apport de la musique dans les interactions sociales des personnes autistes ? En musique, certaines particularités cognitives et développementales mentionnées plus haut peuvent représenter une force pour les autistes. En effet, des études ont démontré que les personnes autistes, à cause de leur surfonctionnement perceptif, peuvent avoir une perception accrue de la hauteur des sons et des contours mélodiques, et jouir d’une bonne mémoire musicale (Mottron et al., 2000). De plus en plus d’études indiquent que l’utilisation de la musique et des interventions basées sur des chansons améliore les interactions sociales et le développement du langage (Paul et al., 2015). En somme, ces études suggèrent que lorsque les personnes autistes doivent réaliser une tâche musicale, ils outrepassent certains déficits cognitifs (Mottron et al., 2000). Conséquemment, les activités musicales pourraient être reconnues comme une approche basée sur les forces pour les personnes autistes (Sharda et al., 2018).
D’ailleurs, c’est en partant du modèle d’intervention Strengh-Based Approach (SBA) que j’ai bâti mon application pédagogique. Le SBA est un modèle d’intervention qui a été conçu pour les personnes autistes, en situation de handicap ou en difficultés d’apprentissage. Pour les enseignants, ce modèle permet de se fixer des objectifs qui vont au-delà de la rééducation en lien avec les déficits. Ce modèle suggère d’évaluer de manière globale les forces des individus et de se servir de ces informations pour les aider à outrepasser leurs difficultés (Cosden, 2006). En utilisant ce modèle, je pouvais répondre aux besoins éducatifs globaux des élèves tout en faisant de la musique.
Les études recensées
Pour concevoir mon application pédagogique, je me suis principalement appuyée sur deux études scientifiques : celle de Lorrie Schmid et ses collaborateurs (2020), ainsi que celle de Mathieu Pater et ses collaborateurs (2019). J’ai privilégié ces études, car bien qu’elles aient été réalisées dans un contexte de musicothérapie, elles étaient particulièrement adaptées pour répondre aux besoins éducatifs de mon groupe d’élèves et utilisaient des techniques qui concordaient avec le modèle SBA.
En résumé, l’étude de Schmid et ses collaborateurs (2020) portait sur l’effet de la méthode de groupe de musicothérapie VOICCSS (Vocal, Interactive Communication and Social Strategy) sur les interactions sociales de 64 enfants autistes âgés de cinq à onze ans. Ces enfants présentaient un niveau de communication verbale comparable à celui d’enfants de deux ans, c’est-à-dire qu’ils étaient capables de s’exprimer par des phrases courtes ou par des moyens de communication non verbaux. L’intervention consistait en seize séances de 45 minutes utilisant la méthode VOICCSS. La méthode visait à améliorer les compétences communicationnelles des participants entre eux et avec le musicothérapeute en utilisant des jeux musicaux tels que des chansons trouées afin d’encourager les élèves à compléter des phrases musicales. Les chercheurs ont évalué l’évolution des interactions sociales des enfants autistes en analysant des vidéos des séances et en faisant passer un questionnaire aux enseignants avant et après l’intervention. Les résultats ont montré une amélioration significative des interactions sociales tout au long du programme.
L’autre étude qui m’a inspirée est celle des chercheurs Mathieu Pater, Marinus Spreen et Tom Van Yperen (2021). Ces derniers ont mené une étude de cas multiples visant à observer et à évaluer les comportements sociaux de dix enfants autistes âgés de quatre à dix ans, dans le cadre d’un programme de musicothérapie spécifique appelé « Programme de musicothérapie Papageno » (PMTP). L’intervention a consisté en dix séances de PMTP de quarante minutes offertes à la maison. Le programme PMPT comprenait trente techniques qui visent à améliorer les compétences sociales des enfants autistes. Les séances de musicothérapie se déroulaient à domicile et étaient adaptées aux capacités individuelles des participants. Elles comprenaient une phase d’observation, une phase d’activation et une phase de finalisation. Les données ont été collectées à l’aide de questionnaires remplis par les mères des participants. Les résultats de l’étude ont démontré une amélioration significative des progrès dans des domaines comme le contact visuel, la communication verbale et les initiatives prises par les enfants.
L’application pédagogique
Le groupe-classe que j’ai sélectionné pour l’application est un groupe de trois élèves autistes de sept et huit ans. Tout comme les participants de l’étude et Schmid et al., (2020), ces élèves ont un niveau de communication verbale qui s’apparente à celle d’enfants de deux ans. En musique, ces élèves sont très intéressés par les chansons et les comptines, et interagissent davantage par la chanson que par les jeux instrumentaux. Afin de répondre aux besoins éducatifs des élèves et de soutenir la collaboration des parents dans le processus, j’ai créé l’activité « Chante pour moi ». Cette activité, que j’ai étalée sur une année scolaire complète, permettait de soutenir les interactions sociales des élèves, notamment l’attention conjointe, et favorisait, par la reproduction de l’activité à la maison par les parents, une généralisation des apprentissages dans le contexte familial. Tout comme dans l’étude de Pater et ses collaborateurs (2019), l’activité tenait compte des capacités individuelles et des intérêts des élèves, et était bâtie en trois phases : observation, activation, finalisation. Dans la phase d’observation, qui a eu lieu à l’automne, j’ai identifié les chansons et les comptines que les élèves aimaient, soit en les entendant chanter naturellement, soit en demandant aux parents ou au titulaire. Ensuite, j’ai créé un pictogramme pour représenter chaque chanson. Chaque élève avait un choix différent de chansons. Une fois que les chansons préférées de chaque élève ont été identifiées, j’ai procédé à la phase d’activation. Dans cette phase qui a duré de janvier à mars, j’ai stimulé la communication et les interactions sociales des élèves en leur demandant de faire des demandes complètes, soit en pointant l’image de la chanson désirée, soit en disant « je veux chanter x chanson ». Pour l’interprétation des chansons, j’ai utilisé des techniques comme des chansons trouées pour encourager les élèves à chanter et pour favoriser l’interaction. Parallèlement, j’ai transmis des vidéos aux parents via Class Dojo afin que les élèves puissent se réécouter à la maison. Enfin, pour la phase de finalisation, j’ai envoyé une vidéo aux parents afin de leur montrer comment faire des chansons trouées avec leurs enfants et comment stimuler les interactions. Les parents avaient accès aux pictogrammes et pouvaient reproduire l’activité à la maison dans les mêmes conditions.
Conclusion
En conclusion, il est possible de répondre aux besoins éducatifs des élèves autistes tout en faisant de la musique. Il suffit d’abord d’identifier leurs besoins, leurs forces et leurs intérêts, et de bâtir des activités en fonction de ces éléments. De cette façon, les élèves pourront s’améliorer sur certains aspects de leur développement tout en participant à une activité musicale. Il ne faut pas non plus négliger la collaboration avec les parents, puisqu’elle nous sert à la fois à recueillir des informations auprès des élèves aussi bien qu’à promouvoir leurs réussites et leur progrès.
BIBLIOGRAPHIE
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Poirier, N., et des Rivières-Pigeon, C. (2013). Le trouble du spectre de l'autisme. Presses de l’Université du Québec.
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Sharda, M., Tuerk, C., Chowdhury, R., Jamey, K., Foster, N., Custo-Blanch, M., Tan, M., Nadig, A., et Hyde, K. (2018). Music improves social communication and auditory–motor connectivity in children with autism. Translational Psychiatry, 8(1), Article 1. https://doi.org/10.1038/s41398-018-0287-3
BIOGRAPHIES
Myriam Bergeron est détentrice d’un diplôme d’études supérieures I du Conservatoire de musique de Québec, ainsi que d’un baccalauréat en enseignement de la musique de l’Université du Québec à Montréal. Elle poursuit actuellement ses études de doctorat en éducation musicale à l’Université Laval. Myriam cumule plus de 10 ans d’expérience en enseignement de la musique auprès d’élèves à besoins particuliers. Elle s’intéresse aux besoins de développement professionnel des enseignants de musique travaillant auprès de cette clientèle.
Membre distingué de l’Ordre du Québec pour l’excellence en éducation, Jonathan Bolduc, Ph. D., est professeur titulaire en éducation musicale au préscolaire et au primaire à la Faculté de musique de l’Université Laval. Il est l’initiateur de plusieurs recherches et projets pédagogiques qui documentent l’impact de l’éducation musicale sur le développement global de l’enfant et la réussite scolaire. Il est membre régulier de Centre de recherche et d'intervention sur la réussite scolaire (CRIRES : https://crires.ulaval.ca) et membre associé au BRAMS (www.brams.org).