
La fin des classes arrive à grands pas et, pour plusieurs, cela rime avec concert de fin d’année. La fébrilité se fait sentir et les billets s’envolent rapidement. Alors que cette fébrilité porte certains en même temps qu’elle les mobilise, elle amène les autres à figer et à se terrer.
QU’EST-CE QUE L’ANXIÉTÉ DE PERFORMANCE MUSICALE
L’anxiété de performance musicale (APM) est un phénomène commun qui peut se manifester à tout âge, indépendamment de l’expérience musicale (Kenny, 2016). Elle se définit comme une appréhension anxieuse liée à la performance musicale. Plus précisément, l’APM est associée à l’inquiétude de ne pas être en mesure de rencontrer ses propres attentes particulièrement élevées (Kenny, 2011).
Cette appréhension est souvent accompagnée d’un sentiment de perte de contrôle et d’une remise en question de ses capacités musicales (Kenny, 2022). Par conséquent, les symptômes d’APM, contrairement au stress et au trac qui sont des réactions immédiates à l’annonce d’une situation, peuvent surgir plusieurs jours avant l’évènement.
SES MANIFESTATIONS
On reconnait quatre types de manifestations de l’APM. Les manifestations somatiques ou physiologiques sont celles que l’on remarque souvent en premier (papillons dans le ventre, mains moites, palpitations cardiaques). Une personne anxieuse éprouvera également des manifestations affectives (peur, détresse, panique), cognitives (perte de mémoire, difficultés de concentration) et comportementales (tremblements, difficulté à bouger) (Kenny, 2022; Patston, 2014).
Les manifestations d’APM sont incommodantes et embarrassantes. Par conséquent, la personne développera des mécanismes de protections pour soulager cet inconfort. Les plus fréquents sont la compulsivité et l’évitement (Patston, 2014).
LES FACTEURS DE RISQUE
Les écrits scientifiques qui traitent de l’APM permettent de regrouper les facteurs de risques selon, à tout le moins, trois catégories : les caractéristiques personnelles du musicien, les contextes de performance et l’environnement social.
Il semble d’abord que les filles soient plus à risque de développer de l’APM puisqu’elles rapportent souvent davantage de manifestions d’anxiété que les garçons (Osborne et al., 2005; Patston et Osborne, 2016). On remarque aussi que les adolescents et les jeunes adultes sont généralement plus touchés par l’APM (Patston, 2014). Cela dit, des manifestations d’APM ont aussi été rapportées chez des musiciens d’âge primaire (Ryan, 2005; Tardif, 2021) et ont même été observées chez des enfants du préscolaire (Boucher et Ryan, 2011).
Les contextes de performance pourraient aussi être classés selon un continuum d’intensité. Selon Kenny (2016), la performance individuelle serait la plus anxiogène, suivie de celles en petits ensembles et en grands orchestres. Les contextes d’apprentissages correspondent, quant à eux, aux situations les moins susceptibles de générer de l’APM. Cela dit, des adolescents rapportent également éprouver des manifestations d’anxiété de façon occasionnelle en contexte d’apprentissage ou de répétition (Fehm et Schmidt, 2006; Ryan et al., 2021)performance anxiety occurs frequently and can cause considerable distress. As the professional development starts early among future musicians, younger samples are of great interest, but to date, few studies have examined adolescents. The present survey explored performance anxiety in a sample of 15–19-year-old pupils who attended a German special music school. Of those pupils, 74 participated in the study (93% response rate.
Outre la taille de l’ensemble musical, le public jouerait aussi un rôle considérable dans l’apparition des manifestations. Or, il n’est pas uniquement question du nombre de personnes présentes dans la salle, mais plutôt de la qualité, voire de l’expertise, du public. En somme, le niveau d’anxiété serait plus élevé lorsque le public est connaisseur ou expert (Fehm et Schmidt, 2006).
Finalement, l’exposition très tôt dans la vie de l’enfant à des environnements compétitifs et aux attentes particulièrement hautes des adultes significatifs (parents, enseignants, entraineurs) (Ang et al., 2020; Papageorgi, 2007) peut influencer la perception de la performance de l’enfant (Osborne et Kenny, 2008) et mener à l’apparition de l’APM.
DEUX PISTES D'ACCOMPAGNEMENT
Heureusement, il existe plusieurs pistes d’actions afin d’apprivoiser son APM. Voici deux pistes d’accompagnement inspirées de la thérapie congnitivocomportementale : la remise en question de l’interprétation de la situation et l’exposition graduée.
REVOIR LA FAÇON D’INTERPRÉTER LES CHOSES
La façon dont nous percevons et interprétons une situation influence instantanément nos émotions et nos réactions. À titre d’exemple, imaginons que vous vous réveilliez en pleine nuit en ayant entendu du verre se briser. En imaginant qu’un voleur ait pu pénétrer chez vous, votre cœur s’emballera et vous vous cacherez possiblement sous les draps ou vous vous armerez de la lampe de chevet. Or, s’il s’agissait d’un simple verre ayant percuté le sol à la suite d’une maladresse de votre chat? Votre réaction aurait alors été démesurée. Il faut donc parfois simplement prendre un temps de recul pour remettre en question l’interprétation que l’on fait d’une situation.
Les personnes anxieuses peuvent avoir tendance à généraliser ou à imaginer le pire : «Je n’y arriverai jamais. J’ai toujours des blancs de mémoire en concert. » Voici des exemples de questions et de scénarios qui peuvent aider à désamorcer le processus de généralisation.
Dans chacune des réponses proposées, l’enseignant accueille et reconnait d’abord la crainte et l’inconfort de l’élève. Minimiser une situation ne constitue pas une piste de solution. Cette réaction ne fera que creuser le fossé entre l’adulte et l’élève. Considérant que l’APM s’accompagne fréquemment d’un sentiment de perte de contrôle, l’identification de stratégies, voire d’un plan d’action, s’avère une façon efficace pour l’élève de reprendre le contrôle d’une situation qui semblait lui échapper.
L’EXPOSITION GRADUÉE : ENCOURAGER LES ÉLÈVES À OSER, PAS À PAS
L’évitement est un des premiers réflexes de la personne anxieuse. Ce mécanisme est nourri par des croyances associées à la peur de l’échec. Si de prime abord l’évitement semble soulager l’élève, dans les faits, sa crainte sera d’autant plus grande la prochaine fois qu’il se trouvera dans une situation semblable. Pour l’aider à apprivoiser son APM, il vaut mieux l’encourager à affronter graduellement ses peurs. On parle alors de courbe d’exposition graduée. Il ne s’agit pas uniquement d’accoutumance ou de désensibilisation. Dans le cas de l’APM, l’objectif vise aussi à redonner à l’élève la confiance en ses capacités. Le mot-clé de cet outil est « gradué »
En tant qu’enseignant, il nous appartient ensuite de proposer un parcours gradué à la hauteur des capacités de l’élève. Prenons l’exemple d’un élève qui redoute les performances individuelles devant la classe. Il pourrait d’abord être invité à jouer devant un petit groupe d’amis en qui il a confiance. Lorsque cette situation aura connu un dénouement heureux, il sera à même de gagner peu à peu confiance en ses capacités. Ces petites victoires serviront par la suite d’ancrage pour les situations à venir. Lorsqu’il sera ensuite invité à s’exécuter devant la classe entière, il pourra se remémorer comment ses craintes d’échouer ou de commettre des erreurs se sont avérées non fondées par le passé. L’exposition graduelle à des situations anxiogènes sera certainement inconfortable au début, mais la satisfaction d’avoir affronté ses craintes remplacera rapidement l’anxiété éprouvée.
CONCLUSION
Comme la prémisse de cet article l’annonçait, l’APM peut se manifester tant chez les petits que chez les grands. Les concerts de fin d’année sont éprouvants et la fierté du travail accompli avec les élèves mène parfois à l’idéalisation de certains résultats. Les élèves ne sont pas les seuls à avoir des attentes. Dans son livre, Sonia Lupien (2019) aborde la résonnance du stress : le stress de l’un, tout comme les sons, résonnerait chez l’autre. Lorsqu’un individu sécrète des hormones de stress, les personnes dans son entourage physique en sécrèteront en retour. C’est une réaction biochimique et mécanique simple. Il ne s’agit donc pas d’avoir l’air serein, mais de l’être. Pour prendre soin des autres, il faut d’abord prendre soin de soi.
RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES
Site web du Centre RBC
https://sante-mentale-jeunesse.usherbrooke.ca
Tel-Jeunes
https://www.teljeunes.com/Tel-jeunes/Tous-les-themes/Sante-psychologique
Ang, K., Panebianco, C. et Odendaal, A. (2020). Parent–teacher partnerships in group music lessons: a collective case study. British Journal of Music Education, 37(2),
169-179. https://doi.org/10.1017/S026505171900024X
Boucher, H. et Ryan, C. A. (2011). Performance Stress and the Very Young Musician. Journal of Research in Music Education, 58(4), 329-345.
https://doi.org/10.1177/0022429410386965
Fehm, L. et Schmidt, K. (2006). Performance anxiety in gifted adolescent musicians. Journal of Anxiety Disorders, 20(1), 98-109.
https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2004.11.011
Kenny, D. T. (2011). The psychology of music performance anxiety. Oxford University Press. http://ezproxy.usherbrooke.ca/login?url=https://search.ebscohost.com/login.aspx?direct=true&db=cat04883a&AN=sher.i9780199586141&lang=fr&site=eds-live
Kenny, D. T. (2016). Music Performance Anxiety: Theory, Assessement and Treatment. (Lambert Academic Pubilishing.).
Kenny, D. T. (2022). Negative emotions in music making: Performance anxiety. Dans Singing, Body Movement and Sound Intensity.
Osborne, M. S., Kenny, D. T. et Holsomback, R. (2005). Assessment of Music Performance Anxiety in Late Childhood: A Validation Study of the Music Performance Anxiety
Inventory for Adolescents (MPAI–A). International Journal of Stress Management, 12(4), 312-330.
Papageorgi, I. (2007). Understanding performance anxiety in the adolescent musician [Thèse de doctorat, University of London]
Patston, T. (2014). Teaching stage fright? – Implications for music educators. British Journal of Music Education, 31(1), 85-98. https://doi.org/10.1017/S0265051713000144
Patston, T. et Osborne, M. S. (2016). The developmental features of music performance anxiety and perfectionism in school age music students. Performance
Enhancement & Health, 4(1-2), 42-49. https://doi.org/10.1016/j.peh.2015.09.003
Ryan, C. (2005). Experience of musical performance anxiety in elementary school children. International Journal of Stress Management, 12(4), 331-342.
https://doi.org/10.1037/1072-5245.12.4.331
Ryan, C., Boucher, H. et Ryan, G. (2021). Performance Preparation, Anxiety, and the Teacher. Experiences of Adolescent Pianists. Revue Musicale OICRM, 8(1), 38.
https://doi.org/10.7202/1079790ar
Tardif, C. (2021, 20 mars). Influence des pratiques d’enseignement de la musique sur l’anxiété de performance musicale et le bien-être en classe des élèves du primaire
inscrits à un programme en Arts-études. https://doi.org/10.13140/RG.2.2.25300.32641